Dans le cadre de notre série d’entretiens avec des éditeurs, nous avons posé quelques questions à Héloïse d’Ormesson fondatrice des éditions éponymes avec son compagnon Gilles Cohen-Solal.
Créées il y a une dizaine d’années, les éditions Héloïse d’Ormesson incarnent à la perfection ces maisons dans lesquelles grandissent des auteurs appelés à devenir grands et où semble régner une ambiance sinon familiale, disons, fraternelle. On ne compte plus les succès littéraires et commerciaux de cette pourtant petite maison d’édition nichée au cœur du Vème arrondissement de Paris. Quel est le secret d’Héloïse d’Ormesson et Gilles Cohen-Solal ? Nous avons posé la question à Héloîse.
La maison Héloïse d’Ormesson a été créée en 2004. Pourquoi avoir quitté les éditions Denoël pour créer votre propre maison d’édition ?

J’avais le désir de défendre chacun des titres en leur accordant une stratégie spécifique. C’est ainsi qu’est née la maison Héloïse d’Ormesson. Même s’il était évident que nous ne proposerions pas uniquement des titres commerciaux, nous soutenons toujours chacun de nos auteurs avec un matériel de promotion auprès des libraires que d’autres maisons ne réalisent d’ordinaire que pour les gros enjeux commerciaux. Nous avons pu nous tenir à cette promesse et il s’agit, je pense, d’une des raisons de notre succès.
Dix ans plus tard, je suis fière de constater que nous nous tenons à ce credo et offrons toujours émotion, humanité et onirisme. Le pari est tenu.
Vous avez publié vos premiers titres en 2005 avec Méchamment dimanche de Pierre Pelot, La Mémoire des os, un essai de Cléa Koff et Discipline, un texte de prose poétique d’Yves di Manno. Quelle était la promesse de la maison d’édition ? Aviez-vous la volonté de publier des titres ambitieux ?

En publiant simultanément l’essai de Cléa Koff, nous nous sommes tout de suite inscrits comme une maison généraliste, qui ne proposerait pas que des romans, mais également des essais. Nous avons toujours gardé cette ambition. Aujourd’hui, nous publions à peu près 45% de littérature française, 45% de littérature étrangère et 10 % d’essais. Cela correspond à trois essais par an sur environ vingt-trois titres.
Il me semble crucial de ne pas céder à la surproduction.
Vous avez d’ailleurs toujours tenu à ne publier qu’une vingtaine de titres par an. Pourquoi vous imposer cette limite ?
C’est peut-être ma plus grande fierté concernant la maison d’édition. Nous avions annoncé dès l’origine que nous ne dépasserions pas la vingtaine de publications par an et nous n’avons jamais dévié de cet objectif. A ce jour, nous continuons sur cette cadence, qui me paraît idéale. Elle nous permet en effet de revenir sur un titre s’il est dans l’actualité et de ne pas avoir des titres qui se chassent les uns les autres. Ce rythme nous confère une visibilité en librairie qui serait sans doute plus difficile à obtenir si nous ne publiions que six titres par an. Les libraires ont compris que ce n’était pas des vains mots. Nous ne nous sommes jamais laissés emporter par la surproduction. C’était pourtant une gageure. La première année, n’ayant pas programmé de livres en novembre et en décembre, janvier venu nous avons souffert sur le plan de la trésorerie ! Un manque d’anticipation de jeunes entrepreneurs. Depuis nous répartissons mieux les publications, même si nous ne publions toujours aucun livre en décembre. Nous sommes aussi plus prévoyants en terme de gestion. Quoi qu’il en soit il me semble crucial de ne pas céder à la surproduction.
Que cela signifie-t-il d’être une petite structure dans le monde de l’édition aujourd’hui ?
En tant que petite structure, nous devons valoriser nos points forts c’est-à-dire notre dimension à la fois affective et artisanale. Nous capitalisons sur le fait d’être une maison et non une entreprise d’édition. Une maison, cela veut dire que l’équipe, soudée, motivée, entretient une relation de complicité avec les auteurs. Cela signifie également une atmosphère conviviale. Dans cette optique nous avions il y a quelques années mis à disposition des auteurs un appartement dans lequel ils pouvaient séjourner, travailler, se retrouver. Cela a permis à certains d’entre eux de tisser des liens d’amitiés forts. Encore aujourd’hui, alors que cet appartement n’existe plus, nos auteurs continuent à entretenir des liens privilégiés, s’envoient leurs manuscrits, se concertent et lorsque l’un d’entre eux est reçu dans une librairie, les autres viennent le soutenir, l’entourer. Il existe un vrai esprit maison, une manière de communauté EHO, qui est l’une de nos plus grandes réussites.
Votre maison a fêté ses dix ans il y a un an. Le monde du livre a-t-il beaucoup changé en 10 ans ?

Ce phénomène s’applique je crois plus ou moins dans toutes les maisons d’édition françaises.
Être éditeur, c’est amener un livre vers ses lecteurs. On ne peut pas se satisfaire d’éditer des livres qui ne se vendent pas.
Vous avez fait vos premières armes dans le métier du livre aux Etats-Unis. Que vous a apporté cette expérience loin de nos frontières ? Avez-vous importé un certain savoir-faire ou une vision particulière du métier d’éditeur ?
De surcroît, je pense que notre métier est à mi-chemin entre l’art et le commerce. Nous ne sommes pas des conservateurs de musée. Être éditeur, c’est amener un livre vers ses lecteurs. On ne peut pas se satisfaire d’éditer des livres qui ne se vendent pas. Il ne s’agit pas de considération mercantile, mais de notre cœur de métier. Ceci étant dit, il y a évidemment des auteurs qu’il faut publier coûte que coûte, parce que ce sont de grands écrivains, que leurs textes sont majeurs et qu’un jour ou l’autre, ils auront nécessairement des lecteurs.
L’objectif d’une maison d’édition est-il de faire découvrir de nouveaux auteurs ? Combien de nouveaux auteurs publiez-vous par an ?
Découvrir de nouveaux auteurs et essayer de les imposer dans le paysage littéraire est l’une des joies de ce métier. Nous publions au moins un ou deux premiers romans par an. L’objectif est ensuite de suivre ces auteurs pour les construire sur la durée, sur le long terme, de livre en livre.
Vous avez longtemps travaillé dans le domaine de la littérature étrangère chez Flammarion ou Denoël. Est-ce très différent de s’occuper d’auteurs français et étrangers ?
Personnellement, après avoir travaillé 15 ans dans le domaine étranger, j’avais envie de travailler plus directement avec des auteurs français.
Si vous publiez quelques recueils de nouvelles, comment expliquez-vous que ce genre littéraire ne soit pas plus populaire en France ?
De fait, si des auteurs de nouvelles peuvent obtenir de jolis scores, c’est tout de même un genre plus difficile à promouvoir. Pour autant, je n’exclue pas de publier un recueil si j’estime que le talent est là. Ce n’est pas rédhibitoire en ce qui me concerne. Nous avons publié Son carnet rouge, un recueil de nouvelles de Tatiana de Rosnay. Si elle redoutait un échec commercial, le livre a été sur la liste des best-sellers.
Elle s’appelait Sarah de Tatiana de Rosnay a façonné notre histoire. Si nous n’avions pas publié ce livre et s’il n’avait pas connu ce succès phénoménal, je ne sais pas où en serait la maison aujourd’hui. Notre rencontre avec Tatiana de Rosnay a été un moment pivot à titre personnel et professionnel.
Qu’est-ce que le club EHO que l’on peut retrouver sur votre site internet ? Est-ce important d’être proche des lecteurs ? Comment ce lien peut-il se nouer avec eux ?
Nous sommes également présents sur les différents réseaux sociaux. Cela me paraissait d’autant plus important sachant que Tatiana de Rosnay est l’une des auteurs les plus en pointe sur Twitter ! Elle a été l’une des premières à tweeter en France et nous a initié à ce mode de communication. Nous nous devons d’être en phase avec nos auteurs.
Quel est le titre que vous êtes la plus fière d‘avoir publié en tant qu’éditrice ?


Nous comptons au catalogue des auteurs qui se vendent bien à l’étranger. Que les écrivains que nous représentons soient lus en Allemagne, en Italie, en Hollande, ou ailleurs est un grand motif de satisfaction et de fierté.
Quel est l’auteur que vous auriez aimé publier ?
J’ai publié A. S. Byatt quand j’étais chez Flammarion. Publier Possession a été une des grandes joies de ma vie d’éditrice. Il me paraissait normal, après avoir acheté sa trilogie pour Flammarion de ne pas chercher à la récupérer. J’aurais pourtant bien aimé continuer à la défendre en France.
Pouvez-vous nous présenter les livres que vous publierez pour la rentrée littéraire ?
Le Courrier des tranchées de Stefan Brijs, géant de la littérature flamande. Une fresque au souffle puissant, qui explore avec une infinie subtilité les questions du courage et de la vérité. Une histoire d’amitié aussi romanesque que déchirante.
Et en ce moment que lisez-vous ?
Les manuscrits de Dominique Dyens (un récit fort et très personnel, bouleversant) et de Michel Quint (un roman noir qui plonge aux racines de l’extrémisme des années 30 d’une stupéfiante actualité). Je n’ai pas encore ouvert (entre autres livres dans mes valises cet été) Amours de Léonor de Récondo et Portrait d’après blessure d’Hélène Gestern, que je me réserve comme plaisir estival.
Retrouvez les actualités des éditions Héloïse d’Ormesson sur leur site : http://www.editions-heloisedormesson.com/
pourquoi Héloïse ne fait aucune allusion é « la part des flammes » Est-ce trop prématuré ?
Même s’il ne paraît que maintenant, cet entretien à été realisé début mars avant la parution de l’époustouflante Part des flammes. La question sur le rentrée littéraire et sur les lectures d’été se sont ajoutées récemment à la veille de la sortie de l’interview.
Les questions sur la rentrée et les lectures… Désolée pour la faute de frappe.
J’adore vos interviews d’éditeurs, je me permets de relayer. 🙂
A reblogué ceci sur Le Bibliocosmeet a ajouté:
Babelio poursuit ses interviews d’éditeurs avec Héloïse d’Ormesson !
Super ! Merci @Dionysos 🙂
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