Des salons aux tweets, quand auteurs et lecteurs se rencontrent

Qu’ils soient membres de Babelio ou pas, il n’a jamais semblé aussi facile pour les lecteurs de rentrer en contact avec leurs auteurs préférés. Aux librairies et aux salons littéraires, traditionnels lieux de rencontre et d’échange, se sont ajoutés depuis quelques années des réseaux sociaux tels que Twitter, Facebook ou Instagram.

Ces nouveaux « lieux » ont-ils changé les liens entre lecteurs et auteurs ? Quelle place pour les maisons d’édition dans ce nouvel espace d’échanges dans lequel les barrières entre vie publique et vie privée sont parfois floues ?

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Dans le cadre de son cycle de conférences sur les pratiques des lecteurs, Babelio s’est interrogé sur ces liens à travers une étude présentée le 24 septembre 2019 lors d’une table ronde par Octavia Killian, responsable commercial et partenariat de Babelio et Guillaume Teisseire, cofondateur du site.

À leurs côtés, Arnaud Labory, directeur de l’agence La Bande, Marion Marin Dubuard, attachée de presse/chargée de communication chez Hugo Publishing et Serge Joncour, auteur, lauréat du Prix Interallié, ont été invités à partager leurs expériences et approches respectives.

De grandes lectrices en salon

L’étude a été menée du 20 août au 10 septembre 2019. 2906 internautes ont répondu, parmi lesquels beaucoup de femmes (79 %), plutôt jeunes (les deux tranches les plus représentées sont les 25-34 ans et les 34-44 ans). Pour la plupart membres de Babelio, ces derniers sont de grands lecteurs qui lisent plusieurs livres par mois, voire plusieurs par semaine pour certains d’entre eux.

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La fiction contemporaine (française puis étrangère), le polar et les littératures de l’imaginaire constituent le cœur de leurs lectures, acquises pour la grande majorité des répondants au format poche et en librairie ou dans des grandes surfaces culturelles de type Fnac ou Cultura.

De l’intérêt des rencontres physiques

En rentrant dans le vif du sujet, on constate que ces lecteurs et lectrices aiment rencontrer des auteurs et que leur enthousiasme est décroissant avec leur âge. Ainsi, si les 13-17 ans sont 92 % à déclarer aimer rencontrer les auteurs, ils ne sont plus « que » 75 % à être aussi favorables à ce genre de rencontres parmi les 65 ans et plus.

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Les lecteurs vont prioritairement se déplacer pour rencontrer des auteurs qu’ils connaissent et qu’ils ont lus (lire le livre au préalable enrichit les rencontres pour 87 % d’entre eux), même s’ils sont tout de même un certain nombre (55 % pour les hommes et 59 % pour les femmes) à découvrir de nouveaux écrivains par ce biais. La curiosité des lecteurs croît, d’après notre étude, avec leur âge. Ainsi, si 50 % des 13-17 ans privilégient des rencontres avec des auteurs qu’ils connaissent, ce pourcentage tombe à 16 % pour les seniors de 65 ans et plus. Le volume de lecture des répondants a également une influence sur leur curiosité : plus les lecteurs lisent, plus ils vont aller découvrir de nouveaux auteurs en dédicace.

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L’occasion pour Guillaume Teisseire de soulever une question auprès des intervenants : les rencontres sont-elles des outils de conquête de nouveaux lecteurs, d’un nouveau public, ou bien restent-elles surtout un outil de fidélisation de lecteurs déjà acquis à la cause ? Cela dépend des contextes pour l’écrivain Serge Joncour qui cite une tournée des bibliothèques auprès d’un public qui se serait déplacé, quel que soit l’auteur invité. Certains le connaissaient, d’autres l’ont découvert à cette occasion. À l’inverse, les rencontres en plein cœur de Paris à 19h se destinent effectivement, selon lui, à des lecteurs déjà connaisseurs qui veulent absolument voir l’auteur en question et pas un autre. Reste pour Serge Joncour le cadre des salons qui proposent souvent une telle offre d’auteurs que les lecteurs peuvent facilement venir pour « leur » auteur et en découvrir de nombreux autres.

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Pour Marion Marin Dubuard les salons sont bel et bien un espace de fidélisation et un espace de recrutement de nouveaux lecteurs : « Pour notre collection Hugo Thriller, deux ou trois auteurs de la collection se déplacent en même temps, ce qui permet à ceux qui n’en connaîtraient qu’un seul de découvrir les autres et d’avoir une vue plus précise sur la collection. C’est un schéma que nous produisons également dans notre festival New Romance pour lequel 30 auteurs se déplacent. Les lecteurs ont ainsi la possibilité de découvrir des auteurs et devenir peut-être plus attentifs à nos différentes publications. »

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Si la plupart des lecteurs apprécient les rencontres, seule une petite minorité déclare, par timidité, peur d’être déçue, contraintes spatio-temporelles ou simple volonté de s’en tenir à l’œuvre, ne pas vouloir assister à ce type de rencontres. D’ailleurs, la majorité des lecteurs interrogés déclare avoir déjà assisté à une rencontre physique avec un auteur, les clients de librairie étant présents en nombre à ces rencontres.

Quelle économie pour les rencontres ?

Attention, sujet sensible. Les lecteurs ne sont que 5 % à avoir participé à une rencontre payante avec un auteur. Le format est éminemment gratuit même s’il faut bien sûr parfois passer à la caisse lors des salons littéraires (on se souvient des nombreux débats quant au prix des places du Salon Livre Paris, sujet régulièrement remis en cause par les visiteurs ou les auteurs). 22 %, soit près d’un quart tout de même des lecteurs, seraient disposés à participer à des rencontres payantes, à condition qu’il s’agisse d’un format plus long, en plus petit comité que ceux auxquels ils sont habitués.

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Arnaud Labory pense qu’il y a des pistes à chercher « notamment du côté de l’hybridation comme ce que peut faire Olivier Chaudenson avec la Maison de la Poésie ou Les Correspondances de Manosque par exemple qui nécessitent d’avoir un lecteur professionnel et/ou un musicien. C’est quelque chose que l’on peut payer, que l’on doit même payer. Il faut développer ce genre de choses pour rendre la littérature sexy et attractive. Il faut qu’il y ait de plus en plus d’événements, de performances autour du livre. C’est aussi le travail des professionnels du livre : le montrer sous d’autres aspects, plus spectaculaires. C’est, je crois, l’enjeu des années à venir.« 

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Une vision partagée par Marion Marin Dubuard : « Il faut trouver de nouvelles passerelles entre l’auteur et le lecteur et cela peut passer par des événements qui allient différentes pratiques, différents arts. Qu’est-ce qu’on peut proposer pour donner encore plus envie aux gens d’aller vers les livres ? La question du paiement est évidemment importante : qu’est-ce qu’on va proposer, qu’est-ce qu’on va apporter aux lecteurs ?« 

L’auteur de Chien-loup nuance un peu les échanges : « C’est une question compliquée, car j’entends aussi les libraires qui sont inquiets de devoir rémunérer l’auteur quand celui-ci vient pour une rencontre. Il y a un équilibre tellement fragile dans l’édition. Être auteur est un métier sans aucune garantie, totalement périlleux. Il faut porter une forme de flamme.« 

Les dédicaces plébiscitées 

Les salons du livre, foires et autres festivals sont la principale arène de rencontres, devant la libraire, la bibliothèque ou encore Babelio (oui, nous organisons de nombreuses rencontres toute l’année \o/). C’est principalement pour des dédicaces, jugées plus propices aux échanges, que les lecteurs se déplacent même s’ils sont presque la moitié à également assister à une rencontre ou table ronde. Les autres manifestations, lecture d’une œuvre ou atelier d’écriture, ne concernent qu’une minorité de lecteurs.

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La dédicace est également pour les lecteurs le souvenir d’un moment privilégié qui permet à « l’objet livre » de devenir unique : « Après, c’est vraiment MON livre. » Et pour une séance de dédicaces vraiment mémorable (notamment pour les 18-24 ans), l’éditeur ou l’auteur est invité à proposer quelques goodies, une petite attention plébiscitée pas les lecteurs.L_auteur et ses lecteurs - Septembre 2019_p016.jpg

Amis auteurs, rassurez-vous, si les lecteurs aiment prendre une photo lors des dédicaces, c’est principalement pour un usage personnel. En revanche, les lecteurs sont susceptibles de changer d’avis de manière positive ou négative sur un livre, après avoir rencontré son auteur. Une idée qui laisse Serge Joncour songeur : « Cela rend l’exercice encore plus périlleux…« 

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Les lecteurs se déplacent souvent hors de leurs villes pour rencontrer des auteurs même s’ils ne les suivent pas dans plusieurs de leurs déplacements. Des déplacements que Serge Joncour effectue volontiers : « C’est le fait d’être auteur qui m’a permis de voyager et de découvrir autant de villes et de villages en France. J’ai rencontré de nombreuses personnes aux profils très différents à travers mes tournées de librairies. Pour moi, le véritable danger pour un écrivain, c’est de rester seul face à sa page blanche. Pour une rentrée littéraire, je fais à peu près une centaine de déplacements. Je ne vois pas cela comme une corvée, je vois ça comme un cadeau, comme une chance.« 

Les vaches sont paysagistes. pic.twitter.com/0hweyFIO3M

Des lecteurs connectés

Comment les lecteurs se tiennent-ils informés des événements de rencontre avec les auteurs ? Principalement via les réseaux sociaux des auteurs qu’ils suivent (56 %) ou de leurs maisons d’édition (36 %), leur librairie (53 %), mais aussi la newsletter de Babelio (vous n’êtes pas inscrit ?) ou encore les sites d’actualité littéraire.

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De fait, ils sont 81 % à utiliser les réseaux sociaux, sur Facebook, mais aussi, pour les plus jeunes d’entre eux, sur Instagram. Ainsi, 83 % des 13-17 ans suivent leurs auteurs sur Instagram. Les 65 ans et plus ne sont que 10 % à les suivre sur ce réseau. Sur Facebook, c’est l’inverse ! Twitter reste minoritaire, quelle que soit la tranche d’âge.

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Plus les lecteurs lisent de livres, plus ces derniers disent suivre des auteurs sur les réseaux sociaux même si la moitié des lecteurs se concentrent sur 5 à 10 auteurs. Seuls 18 % des lecteurs interrogés déclarent suivre plus de 20 auteurs sur les réseaux sociaux. Les lecteurs contribuent-ils sur ces pages auteurs ? Cela dépend de leur rythme de lecture : plus les lecteurs lisent, plus ils échangent avec les auteurs sur leurs comptes. Naturellement, les acheteurs en ligne ont des pratiques web plus développées que les clients de librairies et contribuent plus que ces derniers sur ces mêmes comptes.

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Serge Joncour précise tout de même qu’il existe plusieurs types de pages auteur : les pages personnelles tenues par ces derniers, vecteurs de communications qui sortent de la simple promotion avec certes de temps en temps des infos sur les livres ou les articles les concernant parus dans la presse, et les pages auteurs plus professionnelles utilisées uniquement par ces derniers ou par les maisons pour promouvoir leurs œuvres ou lancer des concours : « Ce ne sont pas les mêmes démarches et l’engagement des lecteurs n’est sensiblement pas le même.« 

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Pour Arnaud Labory, le plus important pour un auteur c’est d’être naturel et sincère : « Certains auteurs nous demandent des conseils quand ils signent dans une maison. Ils ne savent pas forcément quoi faire, quel ton prendre. Je leur dis qu’ils n’ont pas à se forcer à parler avec les gens s’ils n’aiment pas ça. Il ne faut pas que les échanges paraissent factices. La maison d’édition doit aussi savoir parfois prendre le relais et créer le contenu pour que l’engagement soit fort si l’auteur n’est pas à l’aise avec les réseaux sociaux. Le seul bémol évidemment, comme le soulignait Serge Joncour, c’est que la relation avec l’auteur est désincarnée.« 

Des auteurs présents sur les réseaux

On a demandé aux lecteurs quels auteurs ils suivaient sur les réseaux sociaux. On retrouve, sans grande surprise, les auteurs parmi les plus populaires en librairie : Maxime Chattam, Franck Thilliez, Virginie Grimaldi, Olivier Norek ou encore Stephen King. Ces auteurs, cités spontanément (à gauche de l’image ci-dessous, la liste des auteurs cités par les lecteurs), ne sont pourtant pas forcément les plus suivis en ligne (à droite de la même image, leur nombre d’abonnés/followers).

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La présence des auteurs sur les réseaux sociaux est quoi qu’il en soit primordiale pour Marion Marin Dubuard même si l’éditeur doit être présent pour l’accompagner en ligne : « Avec la baisse de l’impact de la presse, il est en effet important que les auteurs soient présents sur les réseaux sociaux. Un message posté par un auteur, une annonce peuvent être vus énormément de fois en très peu de temps. On accompagne beaucoup les auteurs pour leur recommander des formats, leur donner des idées sur la meilleure façon d’envoyer un message pour ne pas qu’il soit perdu dans l’immensité d’internet. Nous avons de notre côté assez peu d’auteurs qui ne sont pas sur les réseaux sociaux. » Arnaud Labory de surenchérir : « Les règles des médias sociaux changent tous les jours. C’est à nous de suivre ces règles parfois techniques pour conseiller au mieux les auteurs. Nous ne leur donnons par exemple pas le meilleur horaire pour poster sur Facebook, mais l’heure à laquelle ils se planteront le moins ! »

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Arnaud Labory précise par ailleurs qu’il y a un moment important dans la vie d’un auteur,  quand celui-ci devient une personnalité publique : « Notre travail est souvent de transformer l’écrivain et son livre en « objets » connus et reconnus. Comment va-t-on travailler ensuite ses réseaux sociaux ? C’est peut-être plus le travail du communicant de la maison d’édition de réfléchir à cela. On a récemment dû gérer par exemple un cas particulier autour de Sofia Aouine, une auteure peu connue avant son passage à « La Grande Libraire » et qui a ainsi été exposée au grand public du jour au lendemain. Elle a très rapidement été la cible de critiques odieuses de la part de certains sites d’extrême droite. Comment gérer ce genre d’attaques ? C’est un moment pivot dans la carrière d’un auteur. Dans ces exemples précis, on a dû laisser passer la vague.« 

Qu’attendent exactement les lecteurs de ces pages auteurs ? Avant tout des informations sur leurs nouvelles parutions, sur leurs actualités, mais aussi des extraits ou informations concernant leur travail en cours. Leur vie privée intéresse surtout les plus jeunes même si tous, en très grande majorité, quelle que soit la tranche d’âge, apprécient que les auteurs s’expriment sur des sujets extra-littéraires.

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Ce point sur le manque d’intérêt supposé pour la vie privée des auteurs n’est pas forcément constaté par Marion Marin Dubuard dans le secteur de la New Romance : « Chez Hugo Romance qui regroupe une communauté de grandes lectrices, très fidèles et qui adorent se déplacer en salons, l’échange est primordial et ces dernières aiment beaucoup échanger avec nos auteurs sur les réseaux de façon à connaître leurs plus grandes tristesses et leurs plus grandes joies. Une auteure a récemment annoncé sa grossesse sur les réseaux : les lectrices étaient très nombreuses à lui envoyer des messages de félicitations sur les réseaux sociaux. Nos lectrices apprécient ainsi énormément avoir des instants de vie privée qui les rapprochent de leurs auteurs. Cela leur permet également de mieux comprendre comment elles écrivent. Les éditeurs découvrent ces liens intimes dans les salons ou en festival : elles se reconnaissent même quand elles ne se sont vues qu’une fois.« 

La place de Babelio dans ces échanges

Quid de Babelio ? LE réseau social des livres et des lecteurs ? Et bien si de nombreux auteurs y sont présents et si les membres savent que les auteurs consultent leurs critiques, le site reste avant tout une communauté de lecteurs et ils ne sont que 15 % de lecteurs inscrits à avoir échangé avec des auteurs sur le site. Il s’agit dans la plupart des cas d’échanges autour de leurs critiques de livres. De 13 à 44 ans, les lecteurs sont en majorité persuadés que leur critique peut influencer l’auteur. Les lecteurs de plus de 45 ans sont quant à eux plus circonspects…

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Serge Joncour confirme, comme de nombreux autres auteurs, consulter le site et les critiques publiées sur ses livres – ou sur les nouvelles parutions. Lui-même a un compte de membre sur Babelio mais dit surtout échanger avec ses lecteurs sur le site lorsque sort un de ses romans. Ses échanges avec les lecteurs restent tout de même rares.

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De fait, les lecteurs ne pensent pas que les auteurs devraient forcément répondre aux critiques publiées sur le site. Les lecteurs sont par ailleurs assez peu nombreux à exprimer, à l’écrit ou de visu, des réserves aux auteurs et sont partagés quant à ce qu’ils peuvent dire à ces derniers. Deux lignes jaunes à ne pas franchir : l’intime et la critique non argumentée. Des lignes jaunes probablement partagées par les écrivains et les éditeurs.

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Voici les conclusions de notre étude ! Vous pouvez retrouver la totalité de notre étude ici. Avez-vous également échangé avec des auteurs sur Babelio ou les réseaux sociaux ? N’hésitez pas à partager votre expérience en commentaire de l’article.

 

Lit-on vraiment plus l’été ?

De 3 à 5 : c’est le nombre d’ouvrages que mettront les lecteurs dans leurs bagages cet été. Ils partent 1 à 3 semaines et prendront en moyenne 4,6 jours pour lire un livre. Mais comme tout bon lecteur, ils auront les yeux plus gros que le ventre, et la plupart ne liront pas tout ce qu’ils emportent avec eux…

3 à 5, c’est en tout cas le nombre de livres que prendront 50 % des lecteurs que nous avons interrogés pour notre étude sur les lectures d’été. Menée pendant trois semaines via un questionnaire de 41 questions, elle nous a permis de nous interroger sur cette période qui rime souvent avec détente et vacances et de mettre en évidence certaines pratiques. Lit-on vraiment plus l’été ? S’agit-il des mêmes genres que d’habitude ? Quelles stratégies adoptent les éditeurs à ce moment de l’année ? Autant de questions auxquelles nous avons tenté de répondre, complétées par l’éclairage de trois professionnels que nous avons reçus le 17 avril, lors de la soirée de présentation de l’étude. Étaient avec nous Catherine Troller, directrice commerciale, marketing et communication du Cherche midi éditeur, Perrine Thérond, directrice à la librairie La Griffe Noire et responsable organisation du salon Saint-Maur en Poche et Willy Gardett, responsable du pôle digital et innovation d’Univers Poche.

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Menée sur près de 5 000 lecteurs et lectrices, cette étude a néanmoins touché une cible particulière : le lectorat de Babelio. Il s’agit d’un public essentiellement féminin, assez jeune (25-34 ans étant la tranche d’âge la mieux représentée), qui lit majoritairement de la fiction contemporaine (la moitié dit lire, entre autres genres, de la littérature française ou étrangère contemporaine !) et, surtout, qui lit beaucoup. 95 % des répondants disent lire (au moins) un livre par semaine, contre 16 % pour la moyenne nationale. « Ça fait rêver ! » commente Catherine Troller.

Tenant compte de ce biais-là et s’appuyant sur les propos de nos trois invités, nous vous proposons une plongée dans cette étude estivale et cette soirée chaleureuse afin de s’interroger sur les livres qui vont peut-être bientôt finir dans vos valises…

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Des achats d’été de moins en moins tardifs

Comme on aurait pu s’y attendre, l’enquête montre que 90 % des achats interviennent avant le départ. Ils anticipent même beaucoup car 41 % des lecteurs se procurent leurs ouvrages en avril et en mai, soit près de la moitié du panel !

« Mais la période avril-mai peut-être concurrencée par de gros vendeurs ! » rappelle Catherine Troller, faisant ainsi référence à de grands vendeurs qui inondent le marché. « C’est tout notre travail [de vendre des livres à ce moment-là], ajoute-t-elle néanmoins. C’est une stratégie. » Pocket aussi a choisi de publier des livres de manière anticipée. La maison se montre ainsi coordonnée avec les dates auxquelles les lecteurs disent acheter leurs lectures d’été : dès avril et jusqu’en juin. « Quand je travaillais chez Albin Michel, raconte Willy Gardett, le moment le plus important était Noël. Chez Univers Poche, cela reste vrai, mais l’été est un moment tout à fait décisif. »

Catherine Troller va encore plus loin dans cette stratégie : « Suite à l’engorgement du marché à cette période-là, on recule cette date pour désengorger mai et publier dès le mois de mars. À partir du mois de mars en fait, affirme-t-elle, tout peut devenir un roman d’été. »

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Il faut cependant remarquer une certaine dichotomie dans ces données. On remarque dans les résultats que l’achat de dernière minute reste minoritaire : 56 % des lecteurs disent ne jamais procéder à ce genre d’achat compulsif. Pourtant, Catherine Troller estime qu’au Cherche midi éditeur, ils publient peu au mois de juin, « mais les achats sont monstrueux ». Une zone de tension qui s’explique peut-être car les répondants à l’enquête sont majoritairement de gros lecteurs, qui semblent donc plus enclins à réfléchir longtemps à l’avance à leurs futures lectures, tandis que les lecteurs plus occasionnels feront leur choix plus tard. « À la librairie La Griffe Noire, les achats se font surtout en juin, confirme Perrine Thérond, d’où la date du salon Saint-Maur en Poche : un week-end mi-juin. On essaye alors de proposer aux clients une offre large et variée. »

L’étude fait en outre remarquer que la majorité des lecteurs ne savent finalement pas ce qu’ils vont emporter en vacances. Ils se les procurent tôt, mais ne sont pas encore décidés sur lesquels vont finir dans leurs bagages. À Saint-Maur en Poche, d’ailleurs, Perrine Thérond révèle que les lecteurs qui viennent « ont un budget assez élevé (avec une moyenne de 57,20 euros). Ils ont des paniers énormes. Certains lecteurs partent avec au moins cinq livres, parfois une trentaine de poches ! » Pour avoir plus de choix, peut-être ?

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Changer de genre

Cette dernière donnée nous amène à nous demander ce qui peut motiver leurs choix. En extrayant quelques verbatim de leurs réponses à la question « Qu’attendez-vous d’une lecture d’été ? », on remarque que les mots « divertissement », « détente » et « évasion » ressortent le plus souvent. Un cinquième des répondants à l’étude confirme d’ailleurs se donner « rendez-vous » chaque année en lisant le même auteur. Parmi ceux-là, on retrouve entre autres Guillaume Musso, Michel Bussi ou Virginie Grimaldi, connus pour être des auteurs de page turners ou de lectures feel good.

Pourtant, les lecteurs restent friands de découverte (63 % aiment découvrir de nouveaux auteurs pendant cette période). « À Saint-Maur en Poche, justement, ils viennent pour les grosses têtes d’affiche mais aussi pour découvrir. Parfois un auteur présent connaît un succès énorme, même s’il n’a qu’un seul livre devant lui. Cela s’explique aussi parce qu’ils sont très mis en avant sur le festival : ce sont souvent des auteurs coups de cœur de l’équipe. »

Notons cependant que dans ces mêmes verbatim, « comme le reste de l’année » est le cinquième mot-clé le plus cité ! S’il y a un net penchant pour des lectures plus légères que le reste de l’année, la plupart des lecteurs sont en fait indécis ou ne modifient pas leurs types de lectures.

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Concernant les genres, l’étude met en évidence quelques variations : le polar est plus lu l’été, la littérature feel good aussi, des genres en accord avec la notion de « lecture plaisir ». « On essaye de faire en sorte que la programmation de Saint-Maur en Poche soit variée au maximum, révèle Perrine Thérond. Mais on fait effectivement attention au feel good et à la romance car ils connaissent une forte croissance et sont importants à ce moment-là de l’année. »

A contrario, le Cherche midi éditeur ne publie pas expressément des livres qui sont aux antipodes de la période, pour se démarquer : « à partir du moment où on est un éditeur généraliste, on ne va pas mettre tous ses textes littéraires à la rentrée, donc il y a une contre-programmation qui se fait sur les autres mois, par exemple l’été, mais de manière naturelle ».

« Historiquement, conclut Catherine Troller, on a hérité du calendrier médiatique : pourquoi on ne publie pas en juin ? Parce qu’avant les médias s’arrêtaient en juin. Aujourd’hui, on réalise que les lecteurs vont aussi en librairie l’été et qu’on peut parler de livre à travers d’autres canaux, mais on hérite complètement de ces calendriers médiatiques. »

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Les librairies : terre conquise ou friche à repeupler ?

« Du côté des librairies, poursuit Perrine Thérond, il n’y pas forcément de genres qui sont préférés aux autres. Le travail du libraire est de répondre à l’attente du client. » Ce qui lui permet de confirmer l’étude en expliquant qu’à Saint-Maur, « l’été, c’est mort de chez mort ! De toute façon, toute notre énergie a été dépensée en juin, donc on est ravis ! »

Les libraires, stars de cette étude, sont très plébiscités par les lecteurs. C’est leur lieu de prédilection d’achat. C’était pareil en septembre 2018, lors de notre précédente étude portant sur “l’objet livre” (dont vous pouvez retrouver le compte-rendu ici). Mais c’est encore plus marquant ici, car elle gagne 3 points. Une autre partie de l’étude interroge les lecteurs sur les sélections d’été proposées par différents professionnels. 60 % estiment y être attachés et, en cumulant les noms cités, les sélections de libraires dominent sur la presse.

Pourtant, quand on leur demande quels conseils ou avis les aident le plus à choisir leurs lectures tout au long de l’année (92 % des lecteurs estimant au passage que ces sources ne changent pas pour l’été), Babelio, le bouche-à-oreille et la presse sont, devant la librairie, les plus cités. « Il y a une dichotomie, remarque Catherine Troller, entre la fréquentation des libraires et la prise en compte de leurs conseils. » Contradiction qui signifie sûrement que, si les lecteurs apprécient de se rendre en librairie pour y faire leurs achats, leurs choix ont souvent été faits ou initiés avant d’en franchir le seuil. Les lectures d’été, selon elle, sont principalement constituées de deux choses : de « gros noms » et des « conseils de libraires ». C’est pourquoi le Cherche midi éditeur, tout comme Pocket, travaille beaucoup avec eux l’été : ils leur envoient des épreuves, organisent des séances de dédicace, etc. « Les libraires de lieux de vacances, ajoute un éditeur du public, manquent de reconnaissance. Certains libraires, comme à Port Maria ou Quiberon, sont méprisés parce qu’ils vendent aussi des accessoires de plage, et tous les éditeurs ne leur envoient pas des auteurs en dédicace. C’est aussi notre chance ! C’est une bonne manière d’utiliser leur emplacement pour toucher les lecteurs en vacances. »

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Capter de nouveaux lectorats : digital, librairie ou médias traditionnels ?

L’été semble par ailleurs une période idéale pour toucher des publics éloignés du livre. « Pour nous, libraires, reprend Perrine Thérond, ça reste une question très ardue car c’est le public le plus difficile à capter, c’est celui qui vient le moins nous voir et qui se débrouille tout seul (par le biais des réseaux sociaux ou du bouche-à-oreille). »

L’étude montre en effet que plus de la moitié des lecteurs interrogés lisent plus l’été – les plus jeunes notamment, qui ont une longue période de vacances. Les lecteurs de Babelio n’augmentent pas forcément leur rythme de lecture l’été, voire le réduisent, mais il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’une communauté de grands lecteurs.

Les lieux de vacances, justement, sont peut-être l’endroit idéal pour capter de nouveaux lectorats. Les éditeurs, Le Livre de Poche ou Folio par exemple, en profitent d’ailleurs pour mettre en place des opérations directement sur les plages. « Je crois beaucoup à ces opérations ayant pour cible des lecteurs qui lisent le reste de l’année et sont peut-être plus à même de faire un achat d’impulsion » confie Willy Gardett. Si ce type d’événements – ici, les camions-librairies – fonctionne très bien, les opérations estivales de manière générale ont un réel impact sur les ventes, notamment les lecteurs plus occasionnels, remarque le responsable du pôle digital et innovation d’Univers Poche. « Ce sont des succès, confirme Perrine Thérond. Les goodies aussi marchent très bien, les couvertures à ambiance estivale, pas particulièrement, mais les goodies marketés pour l’été comme les chapeaux ou les éventails fonctionnent bien et sont très identifiés par les clients. »

« Autant à Noël, on a des collectors, reprend Willy Gardett, autant en été, on ne fait pas de travail spécifique sur les couvertures. On garde en tête une certaine saisonnalité, mais pas plus que ça. » Et Catherine Troller d’approuver : « Je ne crois pas non plus. On fait un travail spécifique sur les couvertures tout court – on n’a pas réellement de charte – car on travaille surtout sur l’auteur. » De toutes façons, comme l’indique l’étude, c’est le thème qui reste le plus important dans le choix d’une lecture d’été. Seulement 30 % des répondants sont sensibles aux couvertures, contre près de la moitié pour les 12-24 ans. Si les éditeurs s’adressant à ce public ont vraisemblablement un réel travail à faire de ce côté-là, les autres semblent sur la bonne piste en choisissant de ne pas faire de cette saison un axe graphique primordial.

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Si on a vu jusque-là que l’été n’influait pas fortement sur le programme des éditeurs, cela peut se nuancer sur quelques points qui ont été abordés ce soir-là. « Il y a un effet longue traîne sur certains titres. Mais ce n’est pas sans raison, raconte Perrine Thérond. Par exemple, certains éditeurs publient très tôt leurs auteurs phares. Ils savent que, quoi qu’il arrive, ce sera une lecture d’été, c’est déjà acquis. Donc ils essayent peut-être de capter d’autres lectorats en les publiant plus tôt. » « C’est surtout là qu’on publie des premiers romans, ajoute Catherine Troller. Ou des romans étrangers, pour lesquels on n’a pas l’occasion d’avoir l’auteur en France. Passer par Babelio ou des clubs de lecteurs semble alors la meilleure solution pour créer du mouvement. »

On l’a vu, le bouche-à-oreille et Babelio restent en effet, comme tout au long de l’année, la principale source de recommandations des lecteurs. Seuls 8 % estiment avoir des sources de recommandation différentes au cours de l’été : le Routard, des clubs de lecture, les prix littéraires, les volumes de vente. Or si ces canaux fonctionnent bien sur ces 5 000 répondants, qui rappelons-le sont de gros lecteurs, ce n’est pas nécessairement la meilleure stratégie à avoir pour toucher des lecteurs plus occasionnels. « Les médias sont de moins en moins puissants et de plus en plus difficiles à solliciter, explique Catherine Troller. Mais on travaille d’arrache-pied dès le mois de mars. Le « petit lecteur » aura aussi tendance à aller chercher des prescripteurs traditionnels et il ne faut pas les négliger. » Elle ajoutera plus tard que, pendant l’été, la communication sur le catalogue du Cherche midi éditeur passe beaucoup par la présence en salons ; celle-ci lui permettant également d’engendrer des retombées dans la presse locale. On remarque en outre dans les résultats de l’étude que, concernant les sélections d’été proposées par les professionnels, celles proposées par la télévision et la radio, des médias traditionnels, arrivent loin derrière la librairie. Mais pour se référer de nouveau à la typologie de l’étude (des grands lecteurs), on peut imaginer que les lecteurs occasionnels s’y réfèrent plus et, comme le remarquait Perrine Thérond, sont moins clients des librairies indépendantes.

Enfin, Willy Gardett note que, parfois, une communication plus verticale de la part de l’éditeur peut être tout aussi efficace. Il mentionne l’opération « Coups de cœur Pocket », qui labellise des titres de leur catalogue qu’ils décident ainsi de mettre en lumière, une opération qui « change la donne ». « Ce n’était pas parti pour fonctionner, mais c’est reçu et entendu. Cela se vérifie par les ventes. Cela m’a surpris dans le très bon sens du terme. »

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Le digital au service de la lecture

« Le bouche-à-oreille se fait aussi de manière virale et sociale, affirme Willy Gardett. Nous aussi, éditeurs, avons nos communautés et nos grands lecteurs. Il faut sans cesse recruter de nouveaux fans, et particulièrement chez ceux qui sont peut-être de moins grands lecteurs. C’est toujours agréable de mettre le digital au service de la lecture. »

Le responsable du pôle digital et innovation d’Univers Poche, quant à lui, a défendu l’idée que le digital était le meilleur moyen d’engendrer du bouche-à-oreille, de créer le buzz.

Pourtant, remarque Guillaume Teisseire au cours de la rencontre, « Babelio marche mieux quand il pleut ». Et celui-ci d’interroger Willy Gardett : les réseaux sociaux sont-ils compatibles avec le beau temps ? Sa réponse : globalement, oui. « J’ai animé la communication d’Albin Michel pendant 7 ans, et avant, on n’avait pas du tout la même manière de pousser l’information pendant l’été sur les réseaux sociaux. Ils étaient moins puissants qu’aujourd’hui, donc on laissait les choses en jachère. Maintenant, remarque-t-il, il y a plutôt des moments dans la journée. Les gens les consultent de plus en plus, même l’été ! »

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Quant à savoir ceux qui marchent le mieux, Willy Gardett estime que « Facebook, avant, était plutôt pour les geeks, mais son public est maintenant plus âgé. J’ai dû louper le bon moment, plaisante-t-il. Le public est plus âgé mais par contre, ce sont de plus gros lecteurs. Instagram, lui, est en croissance. »

Catherine Troller, quant à elle, reconnaît les bénéfices du digital mais semble tout de même dubitative sur leur effet, notamment à cette saison. « Cela marche quand même moins l’été ; par exemple, nous nous appuyons sur les blogueurs, qui sont un grand support pour nous. Mais on remarque que les effets du digital et des prescripteurs de manière générale sont moindres l’été : il y a moins de ventes. »

« Aujourd’hui, pour exister sur Facebook, il faut sponsoriser ses publications, reconnaît Willy Gardett, pour qui l’utilisation d’outils numériques n’est pas sans challenge non plus. Sur Instagram, par contre, il faut être plus innovant. »

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Grand format, poche ou numérique : le clash des formats

Sans surprise, l’étude prouve que l’été, les lecteurs achètent surtout des livres de poche, 20 % de plus que le reste de l’année, alors que le grand format chute considérablement. « Comme le reste du marché, l’été est beaucoup plus difficile, confie Catherine Troller. Les opérations poche « trois pour deux » ont vraiment changé la donne. On voit dans l’étude que le grand format n’est plébiscité que par 15 % des lecteurs : c’est assez meurtrier. Il y a une plus grosse consommation des livres de poche au détriment du grand format. »

« C’est tout à fait juste, répond Willy Gardett. Après, je pense que quand on voyage aujourd’hui, on se pose tous au moins une fois la question de prendre une tablette. Mais on voit bien que les grands lecteurs – et on en est très heureux – continuent d’avoir un attachement fort au papier. » Le numérique, lui, connaît effectivement une légère hausse de 3 %, puisque 15 % disent utiliser ce format l’été, contre 12 % le reste de l’année. « L’augmentation est assez faible finalement, commente Willy Gardett. Le poche détrône le grand format, mais on se rend compte que la tablette n’explose pas non plus. » Cette hausse est peut-être due aux offres proposées par les éditeurs, avance Catherine Troller de son côté : « On effectue de très grosses baisses de prix sur le numérique pour contrer le poche, justement. Mais l’impact est très faible sur le chiffre d’affaires, car ces baisses sont très fortes. »

Si les lecteurs font ces choix-là, c’est principalement pour des questions de prix (44 % pour le poche, 6 % pour le numérique) et de place (46 % pour le premier, 82 % pour l’autre). Ils évoquent aussi le poids, le format moins précieux qu’ils ont donc moins peur d’abîmer, ainsi que le confort de lecture.

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S’il fallait, au terme de cette étude, dresser le portrait du lecteur type de l’été, ce serait celui-ci : un jeune lecteur, qui lit au format poche des polars ou des romans feel good, friand de découverte mais plus attiré par les conseils de ses proches ou des autres lecteurs Babelio que par les médias traditionnels. On peut bien sûr nuancer ce portrait en rappelant que ce sont de multiples données de l’étude rassemblées dans un seul schéma, ou encore en évoquant l’indécision de certains lecteurs, qui ne décident qu’au dernier moment leurs lectures d’été ou qui se contentent de poursuivre dans la même lancée que le reste de l’année.

Nuances qui rendent la période parfois difficile à cerner par les maisons d’édition. « La durée des vacances d’été, note une éditrice présente dans le public, est de plus en plus réduite. Avant on partait trois à quatre semaines au milieu de l’année. Mais aujourd’hui, il y a une plus grande linéarité entre l’année et l’été. Faut-il donc réfléchir en termes de juillet-août, interroge-t-elle, ou en termes d’occasions qui peuvent surgir à tout moment ? » Comme l’ont montré nos invités ce soir-là, l’été a encore un sens dans chacune de leurs stratégies. Mais ses limites sont de plus en plus floues et sans cesse à réinterroger.

Couvertures, quatrièmes de couvertures, bandeaux : qu’en pensent les lecteurs ?

Vous entrez dans votre librairie préférée, où s’étendent des milliers, voire des dizaines de milliers de références. Pourtant, quand vous en ressortez, même si nul doute que vous auriez aimé acheter tout le magasin, vous n’avez que quelques livres dans votre sac. Comment avez-vous fait, devant ces kilos de bandeaux, ces alléchantes 4e de couvertures et ces myriades de couleurs, pour en choisir si peu ? Et surtout : pourquoi ce choix ? C’est la question que Babelio s’est posée.

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Présentés par Guillaume Teisseire, cofondateur de Babelio et Octavia Killian, responsable commercial et partenariats, les résultats ont été commentés et enrichis par deux éditrices et une graphiste présentes ce soir-là pour partager leur expérience :

  • Claire Do Serrô directrice littéraire de Nil éditions et Manon Bucciarelli, graphiste en charge de la refonte d’identité de Nil éditions début 2018,
  • Laure Leroy, directrice éditoriale des éditions Zulma, dont la charte graphique, l’étude l’a prouvé, est particulièrement reconnue par les lecteurs.

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De gauche à droite : Manon Bucciarelli, Claire Do Serrô, Laure Leroy

L’étude a été menée sur Internet auprès de notre communauté de lecteurs et sur les réseaux sociaux du 21 août au 6 septembre 2018. 6 284 personnes ont répondu à l’enquête. Le répondant type ? Une femme (81%), âgée de 25 à 34 ans (25%), grande lectrice (94% des répondants lisent au moins un livre par mois, contre 16% de la population française). Il faut donc garder en tête qu’il s’agit d’une enquête portant principalement sur les grands lecteurs. Prenons pour exemple largement représentatif la réponse qu’ils apportent à la question suivante : « Dans le cas d’un livre adapté au cinéma, appréciez-vous que la couverture change pour se mettre aux couleurs de l’affiche du film ? » 81% disent ne pas apprécier cette pratique. Mais ce recouverturage n’a en fait pas les grands lecteurs pour cible. Il cherche plutôt à toucher les spectateurs du film ou le grand public ignorant l’existence du livre d’origine.

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Des lecteurs encore très attachés au format papier

65,7% estiment acheter principalement leurs livres en format papier et 47,8% disent aller principalement en librairie. On a donc un lectorat qui, bien qu’il soit très connecté, n’a pas converti tous ses achats et pratiques vers le numérique, fait remarquer Octavia Killian au cours de la soirée.

Nos invitées aborderont d’ailleurs peu le sujet du numérique au cours de la rencontre et leurs réflexions montrent bien que la charte graphique de chacune de leurs deux maisons, Nil et Zulma, a été pensée pour le papier. Ainsi, Manon Bucciarelli, graphiste pour Nil éditions, raconte qu’ils ont fait le choix d’un bandeau blanc car « on a bien voulu faire croire à un post-it laissé par un libraire ».

Guillaume Teisseire leur demande également si, en concevant leurs couvertures, elles prennent en considération les sites Internet et le numérique. « Notre chance, énonce Manon Bucciarelli, c’est d’imprimer en pantone : on travaille donc nos couvertures en RVB* et on garde la force des couleurs ». Et Laure Leroy d’ajouter : « on a beau imprimer en pantone nous aussi, il y a des effets parfois très différents entre le livre papier et numérique. (…) Certains effets rendent très bien sur le papier mais sur écran, c’est parfois plus criard ou plus vif. (…) C’est lié à la complexité, finalement, de l’impression de nos livres. » Elle reconnaît donc que Zulma pense d’abord le livre comme un objet papier avant de le voir comme un potentiel produit numérique.

*système de codage des couleurs propre à l’informatique, par opposition au CMJN, utilisé habituellement pour l’impression de livres

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Un achat d’impulsion non systématique

Les répondants à l’enquête sont sujets à l’achat d’impulsion, notamment chez les plus jeunes. De manière générale, note Octavia Killian, un lecteur sur deux ne sait pas ce qu’il va acheter. Elle ajoute également que concernant l’achat en ligne, les lecteurs sont moins sensibles à l’achat d’impulsion (69,4% savent ce qu’ils vont acheter contre 47,9% des acheteurs en librairie), sans doute parce que « la librairie est un lieu qui se prête plus à la découverte et au conseil ». De fait, les lecteurs, pour qui l’achat sur Internet n’est pas une priorité, semblent curieux et enclins à se laisser séduire au gré de leurs flâneries en magasin.

C’est une donnée qui a particulièrement frappé les intervenantes présentes ce soir-là. « C’est vrai qu’on fait notre petite cuisine interne, on réfléchit en termes de maison, d’histoire, mais on oublie que les lecteurs achètent parfois sur impulsion », avoue Manon Bucciarelli. « En fait, à court terme, peu importe la charte graphique. Ce qu’on veut c’est interpeller sur ce titre, sur cet auteur ; qu’il soit relié aux autres titres de la maison nous importe à nous, peut-être aux lecteurs fidèles, mais ça importe peu aux libraires et aux lecteurs sur le moment », ajoute-t-elle avant de conclure : « il faut savoir prendre du recul sur la charte, en changer, en sortir, la transcender… »

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Considérer chaque livre comme un monde à part entière

En parlant de charte graphique, on observe que la plupart des lecteurs préfèrent une couverture adaptée à chaque livre (plus de 70% des lecteurs). C’est d’autant plus vrai quand le lectorat rajeunit (93% de réponses favorables chez les 12-17 ans !). On peut aussi remarquer, même si les avis sont très partagés, que 45% des répondants apprécient qu’un éditeur sorte le livre de sa charte habituelle pour l’habiller aux couleurs de son univers grâce à une jaquette. « Chaque livre doit se réfléchir, refléter au mieux son intérieur », confirme Claire Do Serrô, « chaque livre a son univers ».

Pourtant, si chaque livre publié au sein d’une maison d’édition est unique et que sa couverture doit refléter ses particularités, une maison d’édition reste définie par une ligne éditoriale et une identité qui lui sont propres. Claire Do Serrô, en devenant directrice éditoriale du Nil, a amorcé des changements : un seul format pour tous leurs romans, ce qui n’était pas le cas avant, une nouvelle mise en page pour tous leurs titres, et le choix de poursuivre leur éclectisme en termes de parutions. Elle a bien mis en évidence les interrogations qu’elle a dû affronter avec son équipe. « La première question qu’on s’est posée, raconte d’ailleurs Manon Bucciarelli, c’est « est-ce qu’on veut une charte graphique caractérisée avec beaucoup de contraintes et très identifiable ou une grande liberté ? » ». Non. Mais la question qui a suivi était : « qu’est-ce qui va réunir tous ces textes ? ».

En fait, Nil et Zulma, derrière une volonté de donner à chaque livre des couleurs qui lui sont propres, revendiquent quand même le souhait d’une charte graphique cohérente. Aussi, chacune a cherché, à sa manière, à trouver le juste milieu entre la couverture personnalisée et la charte graphique.

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Couvertures de quatre parutions récentes de Nil éditions

Du côté de Nil, deux astuces graphiques leur ont permis de parvenir à leur fin. Une marie-louise blanche « qui fait signe chez le lecteur classique », d’abord, est systématiquement présente. Mais « on avait envie de sortir de ce cadre et jouer avec, la base de la charte, c’est qu’on va s’amuser avec le cadre [et le hors-cadre] », explique Manon Bucciarelli, témoignant là de leur volonté de casser les codes de cette charte. Leur seconde astuce, c’est d’imprimer en bichromie, avec deux pantones. Leurs couvertures ont donc un « style contrasté, avec des images assez fortes ». « C’est un type d’illustration assez identifié. On pourrait imaginer s’en éloigner, mais pour l’instant, c’est ça qui guide les lecteurs, ce style fort, vectorisé, aux contrastes forts ».

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Quelques couvertures des éditions Zulma

Quant à Zulma, Laure Leroy a contacté le graphiste David Pearson en 2006 pour lui demander de réaliser les couvertures de ses ouvrages. Elle lui a demandé trois choses :

  1. une couverture qui puisse se déployer : « je voulais que le texte soit dans un écrin et que les textes promotionnels et commerciaux ne viennent pas directement. Je voulais un bel objet » ;
  2. que les seuls textes figurant sur la couverture soient le titre et le nom de l’auteur, pas forcément celui de l’éditeur ;
  3. que « tous les livres soient reconnaissables, identifiés les uns avec les autres, mais que chaque livre soit totalement différent, porteur d’un univers ».

Et Laure Leroy de conclure : « en somme, je voulais que chaque livre puisse être sa propre autopromotion ».

Un pari semble-t-il légitime pour ces deux maisons, car à la question « Êtes-vous attaché(e) à certaines couvertures de maisons d’édition ou de collections ? », les lecteurs sont 52% à répondre « Oui ». De plus, dans les maisons les plus citées par les lecteurs à cette question, Zulma arrive en 4ème position avec 362 mentions, juste derrière les éditions 10/18 (364 mentions).

Mais cela reste un pari risqué. On note par exemple que, sur les couvertures, 41% des lecteurs affirment avoir déjà été déçus par une couverture. Ils parlent de « discordances », de « décalages »,  ou d’« inadéquations ».

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Manon Bucciarelli

La codification par genre dépréciée par les lecteurs ?

Pour autant, si les lecteurs apprécient les couvertures uniques, ils sont nombreux à remarquer des tendances fortes dans le monde de l’édition, c’est-à-dire une codification en fonction du genre des livres. En effet, à la question « De manière générale, pensez-vous que certaines couvertures se prêtent plus à un genre littéraire qu’à un autre ? », ils sont 58% à répondre « oui ». Quant à savoir si cela leur plaît ou non, les avis sont mitigés. Ils reconnaissent le côté pratique de la chose (« Elles facilitent l’identification rapide du type de littérature ») mais pointent du doigt les éditeurs comme les responsables de cette codification (« Les codes couleur sont inscrits dans nos esprits de lecteurs, formatés par les maisons d’édition »).

Manon Bucciarelli, de Nil éditions, considère d’ailleurs cette codification avec une certaine indifférence et souhaite faire confiance au lecteur : « Il faut parfois s’affranchir de ce que le lecteur attend. Le lecteur va s’intéresser au contenu au-delà du contenant. »

Guillaume Teisseire est allé dans ce sens-là, rappelant que, dans l’enquête, un lecteur sur deux pense qu’une couverture colorée ne correspond pas forcément, comme c’est le cas dans l’imaginaire commun, à un livre dit « grand public ». Résultat encourageant pour Nil et Zulma, qui ont fait le choix, justement, de couvertures vivantes et colorées ? Sans doute, car 60% des lecteurs affirment aussi préférer une couverture colorée.

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Et les maisons d’édition dans tout ça ?

L’étude comprenait un test qui proposait aux lecteurs de reconnaître les chartes d’un certain nombre de maisons d’édition. Trois maisons seulement sont reconnues par plus de 50% des lecteurs (Gallimard, Albin Michel et Actes sud). Mais il arrive qu’ils se trompent (par exemple pour Flammarion) ou soient approximatifs sur le nom de la maison d’édition (par exemple Gallmeister).

Pourtant, un lecteur sur deux estime être attaché aux couvertures de certaines maisons et collections, souvent car cela rend les maisons reconnaissables, crée un effet de collection ou car c’est, pour certaines maisons, gage de qualité : « C’est un peu une marque de fabrique ! Et une sorte de garantie de qualité du livre. »

Serait-ce donc l’aspect visuel d’un livre qui permet au lecteur de s’y retrouver en librairie ? Même si le test a montré que donner le nom d’une maison n’est pas aisé pour tout le monde, ce sont les chartes graphiques qui permettent au lecteur de se repérer. Ils ne connaissent pas forcément le nom d’une maison, mais cela ne les empêche pas de s’y attacher. Comme l’a justement dit Guillaume Teisseire : « ils se rattachent alors à d’autres auteurs ; par exemple « c’est l’éditeur d’Edouard Louis » pour les éditions du Seuil ».

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Les 4èmes de couverture : un terrain glissant

Éminent sujet de questionnement pour l’éditeur, la quatrième de couverture reste un passage obligé pour les lecteurs : 94% d’entre eux affirment les lire et 87% jusqu’au bout.

Néanmoins, c’est aussi un élément du contenant du livre qu’il semble difficile de réussir. Parmi ceux qui ne les lisent pas, ils affirment savoir déjà de quoi le livre parle ou en vouloir seulement un aperçu, trouver le texte trop long ou avoir peur d’être spoilés. Quant à ceux qui les lisent systématiquement… Trois quarts d’entre eux ont déjà été déçus ; souvent à cause d’un spoil, mais parfois à cause de grands décalages entre ce qu’on a promis au lecteur et ce que le livre est réellement : importance mise sur les éléments secondaires, différence de styles, mauvaise classification dans un genre…

Ce sont des problématiques dont les éditeurs ont néanmoins conscience. Claire Do Serrô, par exemple, confie : « la taille de la quatrième de couverture a posé question, elle est relativement courte parce qu’on s’est forcés. »

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Informations et arguments de vente : comment faire le bon choix ?

Résumé, extrait, prix littéraires, citations, titre, auteur(s)… Les informations que l’éditeur a à sa disposition pour promouvoir le livre sont en fait nombreuses. Lesquelles ont le plus d’impact sur les lecteurs ?

On a vu  plus haut que Zulma cherchait à épurer ses ouvrages de tout texte commercial pour lui offrir un écrin graphique qui se suffise à lui-même. « Si le lecteur veut en savoir plus il doit chercher », explique Laure Leroy. Le résumé des romans Zulma étant dans les rabats, quand le lecteur le trouve enfin, « il a pris le livre en mains, il est soulagé, il peut lire la 1ère page ». « Mais certains lecteurs reposent directement le livre ! » a-t-elle avoué. Peu étonnant quand on constate qu’en quatrième de couverture c’est le résumé que les lecteurs s’attendent à retrouver : 95% jugent cet élément assez ou très important. Pour le reste, les avis sont beaucoup plus partagés (extrait du livre, biographie de l’auteur, critiques presse), voire réticents (photo ou citation de l’auteur, commentaire de l’éditeur…).

« Mais qu’est-ce qu’on montre en couverture ? Et qu’est-ce qu’on révèle en 4e de couverture ? » interroge Manon Bucciarelli, qui a mené chez Nil cette réflexion. Et à la question – ouverte – « Dans une couverture, qu’est ce qui vous pousse à retourner le livre pour lire la quatrième de couverture ? », ce sont les mots « auteur » et « titre » qui ressortent le plus.

« Chez Zulma, a répondu Laure Leroy, je publie beaucoup de littérature traduite avec des auteurs peu connus et aux noms parfois imprononçables. (…) Est-ce que ça sert que je les mette en énorme sur mes couvertures ? » Et Manon Bucciarelli a répondu, enthousiaste : « Finalement, c’est une chance, on n’a pas à s’imposer le nom ou le titre en énorme, sa photo sur le bandeau… On a la chance de pouvoir intriguer le lecteur sans cette arme de marketing massive… ! »

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Laure Leroy

« Un objet, qui est un produit aussi, n’est pas obligé d’être ouvertement commercial, revendique Laure Leroy. Sa beauté peut être liée à l’attention qu’on a portée pour l’imaginer, pour l’écrire, pour le traduire, pour le publier, pour le relire. » Il est évident que le simple fait de ne pas mettre de texte en quatrième de couverture est un choix pour toucher des lecteurs curieux et sensibles à la vision qu’elle a de la littérature. « C’est mon esthétique. Je ne cherche pas à plaire au plus grand nombre, explique effectivement Laure Leroy. Je cherche les lecteurs qui aiment ce que j’aime aussi. Même si tout ça est commercial, cela repose avant tout sur une passion du texte. » Et Claire Do Serrô de conclure : « être éditeur, c’est faire un choix et le porter. On ne peut pas plaire à tout le monde. »

Les bandeaux : un outil marketing en perte de vitesse ?

Reste la question du bandeau. Bien que la moitié des lecteurs estime être attirée par eux, ils ont beaucoup été critiqués, en tout cas remis en question, lors de la soirée. « Il faut éviter le côté autopromotion », reconnaît Claire Do Serrô, rejointe par Laure Leroy : « c’est vrai qu’il faut absolument échapper à l’éditeur qui commente son propre livre, on perd toute crédibilité. » Et d’ailleurs, 34% des lecteurs trouvent les bandeaux racoleurs. Seule la mention d’un prix littéraire (souhaitée à 67%) rend le bandeau utile et important pour une majorité de lecteurs.

Zulma et Nil semblent pourtant tentés de se réapproprier le bandeau. Nil l’utilise, comme on l’a mentionné plus tôt, pour « usurper », s’amuse Manon Bucciarelli, les coups de cœur des libraires. Zulma, eux, essayent de sortir de la fonction racoleuse de celui-ci. « L’air de rien, explique Laure Leroy, le rouge devient une couleur neutre. (…) Sur  Mais leurs yeux dardaient sur Dieu de Zora Neale Hurston, on a mis un bandeau doré. Cela désacralise la citation de Toni Morrison au sujet du livre. Sur un bandeau rouge, cela aurait institutionnalisé la citation et ajouté de la lourdeur. Le bandeau doré donne un peu de légèreté tout en faisant passer le message. » Ce choix est-il réellement pertinent, quand on constate que 21% seulement des lecteurs trouvent qu’il est important de mettre une citation d’un autre auteur sur un bandeau ? Peut-être, oui. En effet, à la question « Appréciez-vous les citations d’auteurs sur les livres ? », un tiers des lecteurs ont choisi de répondre « Oui, toutes les citations même celles d’auteurs que je ne connais pas. Je trouve que ça donne de la crédibilité au livre. »

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(c) Babelio

 

« C’est plein de contradictions et plein d’enseignements » a répondu Laure Leroy quand Guillaume Teisseire leur a demandé ce qu’elles pensaient de l’enquête. Force est de constater que les lecteurs ne sont pas toujours d’accord sur l’intérêt de certains éléments qui constituent l’objet-livre… et que la vision qu’ils en ont est parfois bien différente de celle qu’en ont les éditeurs.

On pourra en outre en retenir une idée, qui a largement mis nos interlocutrices d’accord au cours de la soirée, c’est que chaque titre qu’elles publient est « un univers à part entière ». Les expressions « livre-monde » ou « livre-univers » ont été plusieurs fois reprises. Et, de fait, quand on demande aux lecteurs ce qui les pousse à l’achat, le « thème » du livre ressort très largement car 97% des lecteurs le jugent important.

« Le défi : il faut qu’on reconnaisse la maison [à travers sa charte graphique] mais aussi que chaque livre s’adresse à son lectorat », conclue Claire Do Serrô.

Lecteurs de BD de non-fiction : quand les bulles racontent le monde

À mi-chemin de la bande dessinée à l’ouvrage de développement personnel, d’histoire ou de vulgarisation, il y a la BD de non-fiction : ouvrage illustré qui se propose de raconter le monde à coup de traits de crayon, de bulles et d’onomatopées. On compte ainsi parmi elles les Chroniques birmanes ou Chroniques de Jérusalem de Guy Delisle, Philocomix d’Anne-Lise Combeaud, Jean-Philippe Thivet et Jérôme Vermer, ou la série Tu mourras moins bête de Marion Montaigne.

Pour en savoir plus sur ces lecteurs de bande dessinée de non-fiction, nous avons mené une enquête, du 19 au 30 septembre 2017, auprès de 2878 lecteurs. Pour présenter les résultats de cette étude, Octavia Tapsanji, responsable des relations éditeurs de Babelio, et Guillaume Teisseire, co-fondateur de Babelio, étaient épaulés de Moïse Kissous, dirigeant du groupe Steinkis, et d’Anne-Lise Combeaud, illustratrice de Philocomix, invités à interpréter les résultats de cette étude à la lumière de leurs expériences respectives.

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Moïse Kissous, Anne-Lise Combeaud, Octavia Tapsanji et Guillaume Teisseire

Le lecteur Babelio est-il un lecteur de BD de non-fiction ?

Composée essentiellement de grands lecteurs, dont 94% lisent plus d’un livre par mois et 59% un livre par semaine, la communauté Babelio se démarque également par sa population féminine à 75%. Ces lecteurs sont plutôt jeunes puisque 45% des lecteurs interrogés ont moins de 35 ans.

Les lecteurs Babelio sont d’ailleurs des amateurs de bandes dessinées puisque 99% des répondants en lisent, et 80% d’entre eux en ont lu au cours de 12 derniers mois. Cela reste toutefois un genre minoritaire pour 88% des lecteurs, pour qui les bandes dessinées représentent moins de 50% des lectures.

On compte presque autant de lecteurs de non-fiction : 79% des lecteurs interrogés ont en effet déclaré lire des ouvrages d’histoire, d’art, de sciences humaines, de santé, d’actualité, de philosophie, de science, de religion & spiritualité, de politique ou d’économie.

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Moïse Kissous, directeur du groupe Steinkis, souligne d’ailleurs à ce propos la singularité des lecteurs Babelio : “La particularité de ces lecteurs, c’est qu’ils sont très captifs. Je fais partie du syndicat de l’édition, et nous avons récemment commandé une étude GfK, où le public était différent : en France, moins d’une ou deux personnes sur 3 lit une bande dessinée par an. Parmi les tendances observées, on note toutefois deux choses : une féminisation de la lecture de BD d’une part, et le fait que les lecteurs de BD lisent plus que le lectorat général, c’est un public très curieux et éclectique.”

Finalement, ce sont au total 59% des lecteurs qui lisent de la bande-dessinée de non-fiction. Au top 3 de leurs sous-genres préférés, on compte ainsi l’historique, la biographie dessinée et les témoignages. Ils sont suivis par le documentaire, le reportage et la vulgarisation scientifique.

Un phénomène ancien porté par de nouveaux auteurs

Moïse Kissous relève d’ailleurs que si la bande dessinée de non-fiction est très plébiscitée depuis quelques années, ce n’est pourtant pas un phénomène nouveau : il cite ainsi les éditions Glénat, qui avaient déjà une collection dédiée dans les années 70, ainsi que la collection “l’histoire de France en BD” des éditions Larousse.

Quant à savoir pourquoi ce phénomène revient sur le devant de la scène aujourd’hui, Anne-Lise Combeaud propose une explication : “Aujourd’hui, on est saturé d’information et c’est difficile de faire le tri parmi toutes celles qui nous sont proposées. Je pense qu’on a besoin de nouveaux outils pour ça. C’est d’ailleurs dans cet esprit que l’on a pensé Philocomix : ça répond au besoin des gens d’aller à leur rythme, de faire des pauses quand ils en ont besoin.”

“Des auteurs ont émergé depuis les 15 dernières années, qui ont eu envie de casser les codes de la bande dessinée traditionnelle”, poursuit alors Moïse Kissous, “Les maisons d’édition indépendantes ont su les accompagner et développer de nouvelles approches, tant au niveau du graphisme qu’au niveau du format, elles ont notamment fait sauter le format classique des 54 pages.”

Ce point de vue est partagé par Anne-Lise Combeaud : “De nouveaux auteurs ont émergé via les blogs, et de nouveaux outils ont été créés grâce à la liberté inhérente à ces blogs. Les auteurs ont pu tester de nouveaux formats, comme les histoires verticales par exemple.”

“L’offre ne vient donc plus uniquement des auteurs de BD”, termine Moïse Kissous. “D’autres auteurs, qui viennent d’autres segments de l’édition comme les sciences humaines, ont peut-être plus de mal à trouver leur public, alors qu’au contraire, la caution d’un spécialiste sur une bande dessinée donne envie aux lecteurs de la découvrir : c’est pourquoi la BD va aujourd’hui au contact des sciences humaines et des sciences dures. Les sociologues, politologues, etc., aiment ces nouvelles manières de transmettre et se prêtent volontiers à ce nouvel exercice.”

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Un dessin vaut mille mots

Ce sont quatre motifs principaux qui poussent les lecteurs à s’intéresser à la bande dessinée de non fiction.

L’aspect pédagogique, d’abord, est très apprécié des lecteurs, qui aiment se cultiver de manière didactique. 98% des lecteurs s’entendent ainsi pour dire que la BD de non-fiction a des vertus pédagogiques.

Reste encore à convaincre tous les acteurs de l’éducation nationale de la pertinence des bandes dessinées dans l’apprentissage, fait remarquer Moïse Kissous : “Depuis quelque temps, on constate qu’il y a une évolution de la perception des bandes dessinées par les enseignants. Il n’y a plus de rejet et on apprécie leurs vertus pédagogiques et dans l’apprentissage de la lecture, mais il reste des blocages, notamment au niveau des inspecteurs et des recteurs, qui continuent à trouver les bandes dessinées amusantes et ludiques, mais pas éducatives.”

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Ces bandes dessinées sont également plébiscitées par les lecteurs dans la mesure où elles leur permettent de découvrir de nouveaux thèmes et de se documenter sur de nouveaux sujets. D’autant plus que les bandes dessinées incitent elles-mêmes les lecteurs à découvrir des sujets sur d’autres supports : après avoir lu une BD de non-fiction, ils sont 90% des répondants à déclarer vouloir poursuivre leurs recherches sur la problématique abordée via d’autres oeuvres. De même, ils sont 64% à affirmer qu’une bande dessinée de non-fiction leur a permis de découvrir les autres oeuvres d’un auteur.

Un troisième groupe de lecteurs a ensuite mentionné le pouvoir du dessin, qui exprime parfois davantage d’informations ou d’émotions qu’un texte. Anne-Lise Combeaud met ainsi en évidence les atouts des bandes dessinées : “Le dessin exprime des choses de manière spatiale et visuelle. C’est parfois plus facile et plus pratique de se souvenir des concepts grâce à un détail graphique marquant.”

Enfin, c’est le point de vue sur le réel proposé par ces bandes dessinées qui est également recherché par les lecteurs : c’est un genre dans lequel la subjectivité de l’auteur et le parti pris que permet le dessin sont appréciés. “Les auteurs des témoignages L’Algérie c’est beau comme l’Amérique et Comment comprendre Israël en 60 jours n’avaient jamais été publiés avant la parution de leurs ouvrages respectifs, c’est leur propos et l’intimité de ces récits qui ont séduit les lecteurs et les libraires.”, souligne Moïse Kissous. 54% des lecteurs aiment ainsi lorsque les auteurs traitent leur problématique avec subjectivité.

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Malgré toutes ces vertus, les bandes dessinées semblent toujours souffrir d’un manque de crédibilité. Anne-Lise Combeaud, qui s’est inspirée des Dingodossiers pour travailler sur Philocomix, raconte ainsi son expérience : “La difficulté dans la réception de Philocomix, c’est que le dessin est humoristique : on ne voit pas que l’auteur est agrégé en philosophie et que le fond est sérieux, c’est pourquoi le bandeau mentionnant Frédéric Lenoir a aidé l’ouvrage à trouver son public.”

Un média moins intimidant pour une durée de vie rallongée

Si les lecteurs sont curieux de découvrir des thèmes de non-fiction en bande dessinée, ils sont en revanche 50% à affirmer ne pas être intéressés par les mêmes thèmes en non-fiction et en BD de non-fiction : cela est d’abord dû au fait que la bande dessinée, peut-être moins intimidante qu’un essai classique, encourage les lecteurs à se pencher vers des thématiques différentes. Cela est dû ensuite à l’offre de bandes dessinées de non-fiction, qui est différente de celle proposée par les ouvrages texte.

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Le comportement des lecteurs n’est donc pas le même vis-à-vis des ouvrages de non-fiction que des bandes dessinées de non-fiction. Moïse Kissous fait ressortir cette différence : “La BD L’Algérie c’est beau comme l’Amérique, par exemple, c’est un moyen de dialogue entre des lecteurs qui ont deux visions différentes, et des gens qui ont des intérêts divers pour l’Algérie. Dans ce contexte, le lien entre l’auteur et les lecteurs, et l’intervention des auteurs sont très importants. Les auteurs accompagnent ces livres sur la durée, et leur espérance de vie en est rallongée car la demande de discussion et d’intervention ne tarit pas.”

Les éditeurs de bande dessinée de non-fiction sont cependant encouragés à n’écarter aucun sujet, puisque les lecteurs sont 96% à penser que la bande dessinée peut traiter de tous les sujets.

Vers un décloisonnement dans les librairies

Le sujet de la bande dessinée est le premier critère déterminant le choix des lecteurs lorsqu’ils choisissent une nouvelle bande dessinée de non-fiction, suivi de près par le style graphique, qui est en revanche le premier critère lorsqu’il s’agit de choisir une bande dessinée de fiction.

Si la librairie est le premier lieu dans lequel les lecteurs se procurent de nouvelles bandes dessinées, sa première concurrente est en revanche la bibliothèque, qui est la première source d’acquisition de bandes dessinées pour 43% des lecteurs : de quoi encourager le débat sur le travail de prescription des bibliothécaires.

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Pour ce qui est du travail des libraires, 36% des lecteurs les encouragent à classer les bandes dessinées de non fiction dans les rayons des thématiques qu’elles abordent, et pas uniquement dans le rayon BD… mais, paradoxalement, ils ne sont que 15% à les ranger, dans leurs propres bibliothèques, de manière thématique. 85% des lecteurs les rangent en effet avec leurs autres bandes dessinées.

“Le décloisonnement a déjà commencé”, fait remarquer Moïse Kissous “aujourd’hui la bande dessinée représente environ 10% des rayons dans les librairies, mais ça a vocation à s’élargir. Les libraires prennent peu à peu conscience du potentiel de ce rayon et, nous éditeurs, nous essayons de travailler avec eux dans ce sens, pour susciter la curiosité et l’envie des lecteurs.”

Concernant le prix des bandes dessinées de non-fiction, il est perçu comme étant sensiblement le même que celui des bandes dessinées de fiction, soit de 18€. 80% des réponses situent ainsi le prix moyen d’une bande dessinée entre 10€ et 20€.

Une communication plus créative

Comme nous le constatons habituellement dans nos études de lectorat, le bouche-à-oreille est très important pour les lecteurs de BD de non-fiction lorsqu’il s’agit de découvrir de nouveaux ouvrages ou de choisir leur prochaine lecture.

Anne-Lise Combeaud a d’ailleurs souligné sa volonté de toucher de nouveaux canaux de communication lors de la promotion de Philocomix : “On a voulu sortir des canaux de communication traditionnels, on ne s’est pas contentés de faire appel aux médias BD, on a aussi été voir du côté des médias spécialisés en philosophie, bonheur, et humour. Ca nous a permis de nous retrouver à côté des ouvrages de Frédéric Lenoir dans les rayons des librairies, ou à côté de Giulia Enders et de son livre Le Charme discret de l’intestin. Une BD se remarque tout de suite dans un rayon comme ceux-là !”

Seulement 30% des lecteurs étant attachés à une maison d’édition en particulier, la plupart des lecteurs multiplient ainsi les sources de découverte et se fient également aux conseils de leurs libraires pour choisir une nouvelle bande dessinée de non-fiction.

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Delcourt, Futuropolis et Casterman font toutefois partie du trio de tête des maisons d’édition les plus connues par les lecteurs, suivies ensuite par Glénat, Dargaud et L’Association. Plus particulièrement, certaines collections de bande dessinée de non-fiction jouissent d’une certaine notoriété auprès des lecteurs : “Ils ont fait l’Histoire”, chez Glénat, est connue de 59% des répondants, “La revue XXI” par 46% d’entre eux et “La petite bédéthèque des savoirs”, chez Le Lombard, par 39% des lecteurs.

“On se sent plus intelligent”

“Ce que j’aime avec la bande dessinée, c’est qu’on peut décrypter toute l’actualité. Elle est un outil au service de sujets divers et variés, elle ouvre des portes”, conclut ainsi Anne-Lise Combeaud sans manquer de nous conseiller de lire la revue XXI, “ça a changé ma vie, on se sent plus intelligent.”

“Il n’y a aucune limite aux sujets que l’on peut aborder”, termine quant à lui Moïse Kissous. Il nous a, lui aussi, parler des futurs projets des éditions Steinkis : une bande dessinée avec Marie-Eve Malouines, présidente de la chaîne LCP, une autre sur le Samu Social et une dernière sur la géopolitique du football.

Aux maisons d’édition de prolonger cette vague de non-fiction dans la bande dessinée : “continuez”, les encourage ainsi les lecteurs. Curieux, ces derniers leur demandent également d’élargir les thèmes, d’oser le graphisme et de communiquer davantage.

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Retrouvez l’intégralité de notre étude sur Slideshare :

Littératures de l’imaginaire : le lecteur disséqué

L’Imaginaire ayant pris le pouvoir en librairie pendant tout le mois d’octobre, c’est à ses lecteurs que nous nous sommes intéressés pour la douzième conférence de notre cycle destiné aux professionnels du livre qui vise à explorer les pratiques des lecteurs.

Fantastique, science-fiction, fantasy… Portées ces dernières années par de nombreux best-sellers et des adaptations à succès sur le grand et le petit écran, les littératures de l’imaginaire s’ouvrent à un public sans cesse plus large, tout en restant les grandes absentes des colonnes de la critique traditionnelle.

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Qui est le lecteur d’imaginaire ? Quelle place accorde-t-il au genre dans ses lectures ? Comment se forment ses choix, ses fidélités, ses découvertes ?

Pour tenter d’en savoir plus sur ces lecteurs qui sont tout sauf imaginaires, nous avons mené une enquête du 5 au 11 septembre 2017 auprès de 3 428 lecteurs présents sur internet. Nous avions d’ailleurs déjà mené une enquête en 2015 sur ce lectorat. S’est-il métamorphosé en deux ans ? Quels changements, quelles évolutions peut-on évaluer ?

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Présents à nos côtés pour interpréter les résultats de notre étude présentée par Octavia Tapsanji, responsable relations éditeurs de Babelio, nous avons convié Thibaud Eliroff, directeur des collections Nouveaux Millénaires et J’ai Lu SFMathias Echenay, fondateur des éditions La Volte ainsi que Stéphane Desa, directeur des collections Fleuve et Pocket Editions SF /Fantasy.

Les frontières sans cesse repoussées de l’Imaginaire

Comme nous le rappelions lors de la présentation de notre précédente étude sur ses lecteurs, « l’imaginaire » est une littérature difficile à définir. Sont inclus en effet sous cette appellation différents genres littéraires tels que le fantastique, la fantasy, la science fiction, mais aussi de multiples sous-genres comme l’uchronie, le steampunk, le space-opera, l’urban fantasy, la dystopie et la bit-lit. Sous-genres qui peuvent également eux-même se diviser à l’envie. Si la théorie du « multivers », c’est-à-dire celle qui suppose des univers multiples qui existeraient simultanément, est particulièrement appréciée de certains auteurs de science-fiction, peut-être faut-il parler des littératures de l’imaginaire comme d’un « multi-genre » !

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C’est sans doute cette diversité intrinsèque à cette littérature qui explique le flou qui l’entoure. Nous avons demandé aux lecteurs de classer différentes œuvres dans le genre imaginaire. Il apparaît que seuls 30% des lecteurs identifient comme appartenant « tout à fait » au genre des ouvrages tels que Les Fourmis de Bernard Werber, La Métamorphose de Kafka ou Le Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde. Et comme d’habitude, nous avons inclus dans la liste des titres pièges. Les Ecureuils de Central Park de Katherine Pancol a été identifié comme un roman issu des littératures de l’imaginaire par 4% des répondants. 

Pour Stéphane Desa, ces résultats confirment ses soupçons : le genre de l’imaginaire est toujours aussi mal identifié et c’est un vrai problème pour les éditeurs. Pour lui comme pour chacun des intervenants, c’est un travail que tous les éditeurs du genre doivent inlassablement fournir : réussir à mieux communiquer auprès du grand public alors que des grands noms de l’imaginaire sont proposés en France dans des collections « blanches », c’est à dire qui ne relèvent pas d’un genre. L’imaginaire doit-il pour autant avoir un rayon qui lui serait consacré en librairie, afin peut-être, de mieux l’identifier ? C’est, pour Mathias Echenay, une véritable interrogation dont il ignore la réponse : « Certains livres doivent être placés dans un rayon « imaginaire » mais d’autres livres dans un rayon de littérature « blanche ».

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Reste que le lecteur de Babelio, ou plutôt la lectrice – puisqu’elles sont très largement majoritaires sur le site -, est un grand lecteur et, surtout, un grand lecteur d’imaginaire. 89% des répondants à notre sondage s’identifient au genre.

Pourquoi lire ou ne pas lire de l’imaginaire

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Ceux qui disent ne pas lire ce type de littérature, c’est à dire  11% des lecteurs interrogés, montrent une certaine méconnaissance du genre. Ils parlent ainsi d’une « littérature enfantine » trop rattachée à la jeunesse : « J’en ai lu dans ma jeunesse, a répondu un lecteur, désormais je lis des romans plus classiques. » En écho à ce sentiment, certains jugent le genre trop simpliste avec des personnages « pas assez fins » et des intrigues « immatures ». D’autres estiment qu’ils ne sont pas suffisamment accompagnés dans la découverte de cette littérature, que ce soit à travers leurs études, ou en librairie. D’autres enfin préfèrent aux livres d’autres médias comme le cinéma : « L’imaginaire pour moi, c’est le cinéma ».

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Si ces réponses sont minoritaires dans notre sondage, elles reflètent tout de même une réalité à laquelle est confrontée la littérature de l’imaginaire aujourd’hui. Alors que la culture pop a envahi les médias et que le cinéma de super-héros engrange chaque année des bénéfices record au cinéma, cela n’a nullement profité à la littérature. Prenons George R.R. Martin, par exemple. Pour Thibaud Eliroff, « l’immense succès de ses romans Le Trône de fer puis de la série télévisée tirée de ses livres n’a aucunement bénéficié à ses autres ouvrages ni, dans une plus large mesure, à la fantasy en général ». Une situation qui s’explique peut-être, pour Stéphane Marsan, directeur éditorial et littéraire mais aussi co-fondateur de la maison d’édition Bragelonne, par un malencontreux « hara-kiri » des éditeurs eux-même : à force d’augmenter la qualité de leur production, à travers les couvertures, les traductions ou encore la présence des auteurs en France, peut-être que les éditeurs ont raté le « massif », le grand public. Celui-ci a trouvé d’autres médias que les livres pour découvrir l’imaginaire.

La grande majorité des lecteurs ayant répondu au sondage a – heureusement – une vision plus positive du genre. Ils sont nombreux à lire régulièrement des ouvrages qui se rattachent à cette littérature. Pour ces lecteurs, ce genre est une manière de « s’évader », de « sortir de leur quotidien ». De même, ils louent la grande créativité des auteurs de SF, de fantasy ou de fantastique. L’évasion recherchée et la créativité des auteurs appréciée ne signifient pas pour autant un rejet du réel : ces différentes littératures leur permettent souvent, au contraire, de « réfléchir sur le monde présent », de « questionner les sociétés actuelles ».
Pour d’autres encore, à moins qu’il ne s’agisse également des mêmes lecteurs, les littératures de l’imaginaire sont tout simplement un genre littéraire comme un autre, aussi légitime et intéressant que peuvent l’être les romans policiers ou les romans dits de « littérature blanche ».

Comparer les résultats de notre étude avec celle de 2015 nous a permis de voir que la part de l’imaginaire avait légèrement progressé en 2 ans.

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Ces résultats nous montrent qu’il existe en outre deux types de publics : un public de « puristes » (44% des répondants) pour qui l’imaginaire est un genre majoritaire et un public de « curieux » qui lisent de l’imaginaire mais également de nombreux autres genres littéraires. L’existence de ces deux publics pose question : comment s’adresser justement à ces différents types de lecteurs ?

Pour les éditeurs présents lors de la conférence, la question ne se pose pas en ces termes, il s’agit simplement d’essayer de communiquer l’enthousiasme qu’ils ont pour un livre à des lecteurs qui ne sont pas forcément le public du livre. Avec les couvertures de ses livres, Mathias Echenay essaie, chez La Volte, « de faire en sorte qu’elles correspondent à un goût supposé des gens qui pourraient aimer le livre ». Pour Stéphane Désa et Thibaut Eliroff, il s’agit avant tout de « choisir un texte ». Ils savent que le livre va avant tout s’adresser à une certaine cible. Il y a ensuite, à travers la couverture notamment, un équilibre à trouver entre cette cible et le plus grand public. Tous s’accordent à dire qu’il faut des médiateurs entre le livre et le public pour que celui-ci soit correctement informé. Un rôle que doivent (ou devraient) tenir les médias mais aussi les libraires. Il apparaît cependant que les libraires qui ont un rôle de guide auprès des lecteurs, ne sont pas forcément tous connaisseurs du genre.

Donnée intéressante qui ressort du sondage, il semble que les femmes privilégient le fantastique quand les hommes préfèrent plus largement la science-fiction même si la majorité des lecteurs apprécient différents genres. 59% d’entre eux lisent deux ou trois genres de l’imaginaire.

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Pour ce qui est de l’appartenance du genre à une nationalité, notre étude montre que les lecteurs sont une majorité à associer les littératures de l’imaginaire aux auteurs anglo-saxons. La part des auteurs français a toutefois légèrement progressé en deux ans, passant de 7% à 9%. A noter d’ailleurs, qu’1 lecteur sur 4 lit en version anglaise originale.

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Sur la question du type de livres à travers lesquels les lecteurs lisent de l’imaginaire, on voit que les one-shot (publications en un volume) et les sagas sont les formats les plus populaires, des résultats identiques à notre étude de 2015. On note cependant que la part des recueils de nouvelles a augmenté en 2 ans, passant de 20% à 25%. Précisons d’emblée qu’ils ne sont par ailleurs que 57% à privilégier le poche, alors que le poche est, pour tout autre type de littérature, plébiscité par les lecteurs. Ceci est une vraie spécificité des littératures de l’imaginaire, qui s’explique par le fait qu’il s’agit d’un public de connaisseurs fidèles et attachés à leurs auteurs ainsi qu’à l’objet livre. C’est devenu, pour Stéphane Marsan, un véritable problème pour le secteur car le grand format s’adresse avant tout à une niche. Les éditeurs devraient être plus efficaces en poche.

47% des lecteurs interrogés lisent par ailleurs en numérique, un chiffre en progression par rapport à 2015. Ils étaient alors 38%.

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Les portes d’entrée du genre

Nous avons demandé aux lecteurs avec quel livres ils avaient découvert les littératures de l’imaginaire. On trouve dans la liste des classiques du genre comme Harry Potter de J.K. Rowling ou  Le Seigneur des anneaux de J.R.R Tolkien mais aussi des classiques d’école comme 1984 de George Orwell ou Le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry. Les lecteurs citent également des ouvrages plus récents comme Hunger Games de Suzanne Collins ou A la croisée des mondes de Philip Pullman. D’autres ouvrages sont plus anciens : Voyage au centre de la Terre de Jules Verne ou Le Horla de Guy de Maupassant. A noter que sur la liste des 38 livres, les auteurs français représentent un quart des réponses même si le classement est largement dominé par les auteurs anglo-saxons.

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Thibaud Eliroff trouve positif que les grands classiques comme 1984  soient des portes d’entrée au genre mais tous jugent dommage que malgré la présence d’ouvrages « jeunesse » tels que Harry Potter dans la liste, beaucoup de lecteurs aient abandonné l’imaginaire passé l’adolescence. La mission des éditeurs est peut-être justement de récupérer ceux qui ont quitté les terres de l’imaginaire après avoir dévoré Hunger Games. Pour Mathias Echenay, l’imaginaire reste pour beaucoup une littérature de jeunesse ou bien un « péché mignon ». Les lecteurs de 18-20 ans ne se retrouvent pas dans la SF ou le fantastique alors qu’ils ont adoré de nombreux ouvrages de Young adult ou bien Harry Potter. Mathias Echenay déclare ainsi avoir longtemps attendu, en vain, les enfants d’Harry Potter. Ils ne se sont jamais manifestés. Pire, le Young adult, qui comporte une large section imaginaire, s’est depuis quelques années imposé à tel point qu’il a occulté le reste de la production de SF ou de fantastique. Les jeunes lecteurs de Hunger Games sont restés lecteurs de Young adult et rares sont ceux à aller un peu plus loin en librairie pour trouver d’autres types de lectures qui pourraient pourtant les séduire. C’est là encore un travail que doivent effectuer de concert les éditeurs, les libraires et les médias.

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En février dernier, nous avions mené une enquête sur les adaptations de livres au cinéma. Il ressortait de cette étude que 70% des lecteurs avaient découvert un livre après avoir apprécié le film adapté. En est-il de même pour l’imaginaire ? Il semble que ce soit effectivement le cas, même si le résultat n’est pas aussi marqué : 59% des lecteurs sont « entrés » dans la littérature de l’imaginaire par un film.

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Lesquels ? On leur a également posé la question et ce sont majoritairement des films récents qui sont cités. On constate également qu’il y a un recoupement entre les oeuvres citées ici et la liste des romans qui leur ont fait découvrir le genre. Ceci témoigne du fait que ce sont des univers forts qui ont permis aux lecteurs d’entrer dans l’imaginaire, que ce soit par le texte ou par l’image. On note par ailleurs, sans grande surprise, que l’adaptation réussit plutôt bien à Stephen King, qui voit cinq de ses œuvres citées dans la liste (et le sondage a été réalisé avant la sorti du film Ça 🙂 )

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Comment les lecteurs de l’imaginaire se procurent-ils leurs livres ?

La librairie occupe une place de choix pour les lecteurs et est en progression depuis 2015 (30% il y a deux ans contre 34% aujourd’hui). Les lecteurs multiplient cependant leurs sources d’acquisition, avec les librairies donc mais aussi les grandes surfaces culturelles, internet et les bibliothèques.

Quant à la question de la découverte de nouveaux romans, on constate que les lecteurs multiplient les supports, que ce soit en ligne ou en magasin. Chose étonnante, les médias occupent la quatrième place du classement alors que l’imaginaire est assez peu traité dans les médias traditionnels.

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En terme de prescription toujours, les lecteurs semblent privilégier le bouche à oreille à travers Babelio, leur entourage, les blogs mais aussi l’avis des libraires.

Comme nous l’avions vu en 2015, les lecteurs sont peu attachés aux maisons d’édition ou aux collections même si certaines semblent bien identifiées. Les lecteurs témoignent par la même occasion d’un fort attachement aux maisons indépendantes comme l’Atalante, Les Moutons électriques ou Mnémos qui arrivent assez haut dans un classement dominé par Bragelonne.

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Les prix littéraires restent de leur côté assez peu connus même si le Grand prix de l’Imaginaire ainsi que quelques autres prix ont gagné en notoriété depuis 2015.

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C’est, sans grande surprise, le thème du livre qui reste l’élément essentiel dans le choix d’un ouvrage. Le nom de l’auteur ou la maison d’édition sont des éléments secondaires.

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De manière générale, les lecteurs sont contents du travail des éditeurs et les encouragent à poursuivre leur travail. Certains regrettent toutefois que les couvertures soient trop apparentées au genre et aimeraient qu’ils s’ouvrent à un nouveau public.
Ils aimeraient également que la place accordée aux auteurs français soit plus importante.
De même, ils regrettent souvent le découpage des séries qui ne reprend pas toujours la tomaison originale.

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Des perspectives d’avenir

On constate que le Mois de l’Imaginaire, une initiative lancée en ce mois d’octobre 2017 par un collectif d’éditeurs, connaît une notoriété naissante. Un quart des personnes interrogées connaissaient l’opération, ce qui montre qu’il y a une bonne communication auprès du public.

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La concertation des éditeurs est pour Stéphane Marsan, la vraie « lumière au bout du tunnel » pour le genre. C’est cette concertation qui a abouti au Mois de l’Imaginaire. Une nouvelle perspective pour mieux communiquer auprès du grand public ?

 Retrouvez l’intégralité de notre étude sur Slideshare

Où Babelio présente une étude sur les adaptations de romans en bandes dessinées

Dans le cadre de son cycle de conférences sur les “pratiques des lecteurs”, Babelio a présenté le jeudi 4 mai à Paris une étude sur les adaptations de romans en bandes dessinées, révélée une première fois au festival Quais des bulles en 2016.

Comment les lecteurs perçoivent-ils les adaptations ? Préfèrent-ils qu’elles soient fidèles au texte ou qu’elles s’en affranchissent ? Aiment-ils se plonger dans un univers connu ou au contraire découvrir de nouveaux auteurs ?

Pour répondre à ces questions, Babelio a mené une enquête auprès de 3 859 répondants au sein de sa communauté de lecteurs en septembre 2016.

Trois intervenants étaient sur place pour partager leurs points de vue face aux résultats : Frédéric Lavabre, directeur des éditions Sarbacane, Vincent Brunner, auteur et journaliste spécialisé en bande dessinée ainsi que Cédric Illand, éditeur chez Glénat.

L’étude a été présentée par Octavia Tapsanji, responsable des relations éditeurs de Babelio avant de passer la main à Guillaume Teisseire, co-fondateur de Babelio, pour animer le débat qui lui faisait suite.

De gauche à droite : Frédéric Lavabre, Vincent Brunner, Cédric Illand, Octavia Tapsanji et Guillaume Teisseire

Proust, Nestor Burma, Camus mais aussi Le Petit Prince ou Millenium, il y a longtemps que les cases ne sont plus réservées à l’Oncle Tom. L’adaptation de roman est un genre florissant, d’une grande diversité, allant des mises en images les plus fidèles aux relectures les plus originales, en passant par la rencontre d’univers textuels et visuels parfois inattendus. Et ce ne sont pas les lecteurs de Babelio qui répondront le contraire.

De grands lecteurs de bandes dessinées

La communauté Babelio a pour particularité d’être composée de grands lecteurs. En effet, plus de neuf Babelionautes sur dix (93%) lisent plus d’un livre par mois contre 16% de la population française. La bande dessinée n’échappe à la règle : sept lecteurs sur dix déclarent avoir lu une BD au cours des douze derniers mois, un lecteur sur deux lit même plus d’une BD par mois.

Lorsque l’on regarde de plus près les adaptations, on constate qu’un peu plus de la moitié des lecteurs (54%) lisent des bandes dessinées adaptées de romans. Toutefois, ce nombre pourrait être revu à la hausse puisqu’un quart des lecteurs déclarent ne pas toujours savoir si les bandes dessinées qu’ils lisent sont des adaptations.

Preuve en est que les lecteurs ne maîtrisent pas encore totalement la bande dessinée. Toutefois, cela n’est pas à mettre sur le compte d’une quelconque méprise vis à vis du neuvième art : près de trois lecteurs sur quatre (77%) n’établissent aucune hiérarchie entre roman et BD. Pour eux, aucun des deux n’est plus noble que l’autre et réciproquement.

Leur rapport à la découverte

Lire une bande dessinée adaptée peut être un formidable moyen de découvrir l’œuvre originale dont elle est issue. Pourtant, seuls 17% des lecteurs interrogés admettent avoir découvert un roman grâce à son adaptation. Ce résultat s’explique surtout du fait que la communauté de grands lecteurs forme un public majoritairement adulte pour qui la BD n’est pas un outil pédagogique permettant de s’initier aux romans.

Néanmoins, en s’intéressant de plus près à ces 17%, on remarque que les adaptations leur ont fait découvrir des romans classiques comme A la recherche du temps perdu de Proust, contemporains par exemple Le rapport de Brodeck de Philippe Claudel ou bien policiers avec Shutter Island de Dennis Lehane.

Les adaptations en mangas

La bande dessinée ne s’arrête pas aux frontières franco-belges. Avec ses 36 000 critiques, le manga est un genre lui aussi très bien représenté sur Babelio. Si la population de lecteurs de ces œuvres nipponnes est plus réduite que celles des lecteurs de BD, on compte tout de même plus d’un lecteur sur deux (54%) lisant des mangas. 37% annoncent même en avoir lu au cours des douze derniers mois.

Parmi eux, seul un lecteur sur trois lit des adaptations en mangas de romans quand près de la moitié des lecteurs déclarait lire des adaptations BD. Si, au premier abord, ce nombre paraît peu important, il faut tout de même garder en tête que la production de mangas adaptés de romans reste moins importante qu’en BD.

Lorsqu’on interroge ces lecteurs sur ce qui les amènent à lire des mangas adaptés, près de neuf sur dix (89%) déclarent les lire car ils ont apprécié le roman qui en est à l’origine. En règle générale, ces lecteurs sont fans d’un univers et aiment découvrir toutes les formes d’expression autour de celui-ci, de la BD jusqu’au film.

Les forces des adaptations

Contrairement aux idées reçues, la BD n’est pas perçue par les grands lecteurs comme une menace mais bel et bien comme un outil pédagogique auprès du jeune public. Pour sept lecteurs sur dix, une BD adaptée peut conduire les enfants à lire des classiques.

En ce qui concerne la fidélité que doit tenir une BD vis à vis de l’œuvre originale, les avis sont plutôt mitigés. Si 44% préfèrent que la BD reste fidèle au texte du roman, 43% n’y accordent pas d’importance et voient ces adaptations comme des œuvres indépendantes. Il n’y a donc aucune tendance nette sur ce point.

Vincent Brunner tient à souligner cette “tendance qui se contredit” : autant de lecteurs attendent d’une adaptation son émancipation que sa fidélité à l’œuvre d’origine. Pour Cédric Illand, l’adaptation doit s’affranchir du récit original : “Hitchcock disait que pour faire un bon film, il fallait un mauvais roman. Il savait tirer d’un roman sa substantifique moelle et faisait ce qu’il voulait par la suite. Au bout du compte, ce que l’on va voir, c’est un Hitchcock, pas une adaptation. Pour moi, la BD fonctionne de la même manière.” Cependant, Frédéric Lavabre est moins catégorique. Pour lui, certains points du récit doivent subsister, en particulier l’écriture : “Lorsque j’ai adapté L’Astragale, j’ai d’abord lu le roman pour lequel j’ai eu un énorme coup de cœur et où la langue était intéressante. Tout le challenge était là : il fallait malgré tout que l’adaptation devienne autre chose. On a essayé de ramener L’Astragale au monde contemporain en restant fidèle au texte sans que cela donne un ton trop dramatique, mais quand on a la chance d’avoir le texte d’Albertine Sarrazin, c’est dommage de tout mettre de côté.”

En revanche, la tendance est nettement plus dessinée en ce qui concerne l’apport d’informations additionnelles en fin de volume. Plus de trois quarts des lecteurs apprécient les adaptations enrichies de compléments traitant de l’œuvre originale, à l’instar de certaines des publications de la collection Ex-Libris de chez Delcourt.

Les lecteurs et la production de BD

Afin d’en savoir davantage sur le niveau de connaissances des lecteurs sur les adaptations, nous leur avons soumis une liste de romans en leur demandant s’ils savaient si ces œuvres avaient été adaptées en BD ou non. D’emblée, l’on remarque que mise à part le cas de l’adaptation du Petit prince par Joann Sfar, peu de lecteurs sont au fait de la production d’adaptations. Il y a donc une réelle méconnaissance de cette production.

Nous leur avons ensuite demandé quels genres semblaient être pour eux les plus propices à l’adaptation. On retrouve sans conteste les littératures de l’imaginaire et les romans d’aventure, tous deux dotés d’un univers fort, facilement adaptable visuellement. Viennent ensuite les romans policiers, les romans historiques, la littérature classique et contemporaine pour finir avec la romance.

La production actuelle

Nous avons ensuite confronté ces résultats à la production actuelle. Pour ce faire, nous avons extrait les 130 adaptations les plus populaires sur Babelio pour faire ressortir les genres les plus représentés. Arrivent en tête le fantastique et le policier, ce qui conforte le ressenti des lecteurs. En revanche, la littérature classique vient en troisième position quand bien même le genre n’était pas considéré comme véritablement propice à l’adaptation pour les lecteurs auparavant.

Moins surprenant, lorsque l’on s’intéresse à l’origine des romans adaptés, on constate que la majorité de ces 130 titres est tirée de romans français et américains. Autre tendance qui se dessine dans la production actuelle : plus les romans sont récents, plus ils sont adaptés. Même si nous n’avons mentionné jusque là que les classiques, 45% des titres de notre échantillon concernent des œuvres adaptées de romans publiés après 1980.

A première vue, travailler sur l’adaptation d’un auteur récent peut s’avérer compliqué mais Cédric Illand nous prouve le contraire en nous contant la genèse de L’attentat, adapté du roman éponyme de Yasmina Khadra : “Au départ, l’auteur a demandé à avoir la main sur l’adaptation BD. On a alors monté un rendez-vous pour parler de la vision que l’équipe avait de l’adaptation avec les différents partis. Il s’est senti en confiance, rassuré et a finalement laissé carte blanche aux auteurs. Il a même apporté son soutien en venant par exemple aux dédicaces avec les auteurs.”

Quand les lecteurs lisent à la fois le roman et la BD

Nous nous sommes également intéressés aux œuvres que les lecteurs avaient à la fois lues en roman et en BD. De ce classement ressort d’abord un grand nombre de classiques comme Le petit prince ou L’étranger. Mais ces œuvres sont tellement lues que la probabilité qu’un lecteur ait pu lire les deux est très forte. D’autre part, on note aussi beaucoup d’œuvres provenant de la littérature jeunesse ou de l’imaginaire pourvues d’univers forts dont les fans aiment découvrir toutes les productions, comme nous l’avons vu précédemment. C’est par exemple le cas de La quête d’Ewilan, des Chevaliers d’Émeraude, d’Assassin royal ou en ce qui concerne la jeunesse de Quatre sœurs, Cherub ou Léa Olivier.

Toujours en gardant notre échantillon de 130 titres, nous avons comparé la popularité des adaptations avec les romans dont elles sont issues. D’une manière générale, il en ressort que plus le roman est populaire, plus l’adaptation l’est aussi. Nous avons cependant isolé trois groupes distincts.

Le premier groupe rassemble les bandes dessinées adaptées qui ont rencontré plus de succès que le roman dont elles sont issues. C’est par exemple le cas de Largo Winch dont on a oublié la série de romans écrite par Jean Van Hamme à l’origine de la BD ou bien de Mauvais genre tiré d’un essai de Fabrice Virgili et Danièle Voldman sur la question du genre.

Le deuxième cas regroupe les adaptations aussi populaires que le roman d’origine. Cela concerne majoritairement les grands classiques qui ont à la fois connus le succès en roman et en bulles, comme nous l’avons déjà expliqué plus haut. On trouve parmi ceux-là Le petit prince de Joann Sfar ou L’étranger de Jacques Ferrandez, qui ont tous deux la particularité d’avoir été portés par des auteurs dont l’univers graphique est fort et reconnu. Leur notoriété a donc contribué à celle de l’œuvre.

Troisième et dernier groupe : le roman reste plus populaire que l’adaptation qui, elle, a connu un succès plutôt confidentiel. On note par exemple dans cette catégorie La planète des singes ou bien Dracula. Cela montre que le succès de l’œuvre originale ne garantit pas le même destin pour son adaptation.

Frédéric Lavabre nous rappelle à ce propos que le “risque zéro n’existe pas” : “On peut se louper et c’est d’autant plus risqué quand il s’agit d’une adaptation d’un auteur connu ou qui a toujours des ayants droits proches”.

Les adaptations rêvées des lecteurs

Pour conclure cette étude, nous avons demandé aux lecteurs quels étaient les romans qu’ils rêveraient de voir adaptés en bande dessinée. Si leur choix est très varié, c’est sans surprise que la saga désormais culte Harry Potter occupe la première place du podium, suivie d’autres titres jeunesse comme La passe-miroir ou Divergente. Les lecteurs mentionnent aussi de grands classiques comme Les Misérables ou bien Madame Bovary ainsi que des titres de littérature imaginaire tels que Le Seigneur des Anneaux. Néanmoins, on trouve tout de même en septième position dans la liste Les Hauts de Hurle-Vent alors que ce titre a déjà été adapté en 2009 dans la collection Ex-Libris. Ce dernier point confirme qu’il y a bel et bien une méconnaissance de la production et une attente d’une offre qui existe en réalité déjà de la part des lecteurs.

Le débat

Guillaume Teisseire a fait suite à la présentation d’Octavia Tapsanji pour animer un débat en présence de nos différents intervenants. Pas de surprise pour eux au regard de ces résultats, tous partagent le même sentiment de “confirmation”.

Face au nombre de productions qui voient le jour chaque année, on peut se demander quel élément est à l’origine d’une adaptation. Pour certains cas, c’est une volonté proche de l’évidence et motivée par l’éditeur qui lui donne naissance, comme en témoigne Cédric Illand  : “L’attentat de Yasmina Khadra a été pour moi un véritable coup de cœur. Je le lisais en me projetant des images mentales. J’en ai rapidement acheté les droits et ai monté une équipe. C’est une adaptation qui s’est vraiment faite sous le coup de l’impulsion.” D’autres fois, ce sont les auteurs et scénaristes qui viennent le voir avec un projet précis : “La collection autour des adaptations d’H.G. Wells m’a été proposée par un scénariste. Il m’a d’abord proposé une adaptation de La guerre des mondes puis d’autres ont suivi. Tout est né d’une discussion avec les auteurs.”

Toutefois, l’adaptation résiste à toutes les règles : il est difficile de déceler l’ADN du roman adaptable même si certains points ont leur importance. La longueur du récit d’origine d’abord, comme l’évoque Frédéric Lavabre : “La difficulté, c’est la taille du roman d’origine par rapport au volume livré. Cela implique nécessairement des coupures, c’est un choix fort. Certains romans seraient formidables à adapter mais cela aurait un rendu de 1000 pages.”

D’autre part, si Frédéric Lavabre aime l’idée “de ramener une qualité de texte à l’univers graphique” d’une BD qui a par essence une “écriture assez blanche”, comme il l’a fait pour L’Astragale, les romans très littéraires n’ont pour Cédric Illand que peu d’intérêt à être adaptés : “L’intérêt principal de ces romans, c’est leur langue et non l’histoire. C’est précisément ce qui fait leur qualité littéraire qui les rend difficilement adaptable car tout se joue au niveau du texte. Je pense notamment au Nouveau Roman des années 1960/70. Sarrazin possède certes des qualités de langue mais son roman reste une histoire que l’on peut adapter. Alors qu’on imaginerait mal une adaptation de La disparition par exemple.”

En ce qui concerne la part de liberté que doit laisser un auteur au scénariste de l’adaptation elle ne fait aucun doute pour nos intervenants : une adaptation doit nécessairement amener quelque chose à l’œuvre originale. “L’auteur doit disparaître”, commence Vincent Brunner. “Il faut qu’il fasse preuve d’humilité et qu’il sache se mettre au service des idées bien plus que de son égo.” Frédéric Lavabre poursuit en évoquant le cas de Pereira prétend : “Le scénariste tenait à apporter de la poésie au personnage là où d’autres lui auraient donné une couleur nettement plus politique. Il a fait beaucoup de recherches visuelles, il est même parti à Lisbonne pour s’imprégner de la ville. Il s’est réellement emparé de l’œuvre pour en faire la sienne.” Cédric Illand a vécu la même expérience durant l’adaptation de L’attentat : “Le scénariste était autant imprégné du livre mais voulait lui amener au contraire une vision politique. C’est d’ailleurs amusant de comparer les choix menés pour l’adaptation du film avec ceux de la BD quand bien même tous deux suivent le livre.”

Néanmoins, il faut savoir parfois coller au plus près du récit original pour ne pas le trahir. Frédéric Lavabre, qui travaille en ce moment sur l’adaptation de Dans la forêt de Jean Hegland, n’a par exemple pas hésité une seule seconde à contacter l’auteure pour avoir des indications sur un des points clés de l’œuvre : “Dès le début, il y a cette scène où deux filles se cachent dans un séquoia géant. Le dessinateur avait dessiné un séquoia debout, le dessin était très fort mais la symbolique n’était pas là. On a contacté l’auteure pour avoir une image de cette souche de séquoia car c’est la clé du roman. Il s’avère que l’interprétation du dessinateur était mauvaise alors que cette souche est centrale dans l’histoire. L’adaptateur doit être libre lui aussi mais sur certains points de détails, il est important de respecter le roman.”

Vincent Brunner conclut en citant Le rapport de Brodeck adapté par Manu Larcenet qui, selon lui, est un parfait exemple d’adaptation : “Pour moi, il s’agit d’une véritable réussite. J’ai lu le roman de Philippe Claudel après l’adaptation, Manu Larcenet a énormément respecté l’œuvre originale tout en y apportant sa vision.”

C’est sur ces dernières paroles que s’est achevé le débat qui a fait place à un buffet auquel tous les participants ont été conviés. Merci encore à nos trois invités pour leur intervention.

Vous pouvez retrouver l’intégralité de l’étude sur SlideShare.

Où Babelio présente sa nouvelle étude de lectorat sur le polar

Dans le cadre de son cycle de conférences sur les « pratiques des lecteurs » et à l’occasion du festival Quais du Polar à Lyon, Babelio a présenté le 31 mars dernier une nouvelle étude sur les lecteurs de polar. Pourquoi lisent-ils des romans policiers ? Font-ils la différence entre roman noir et thriller psychologique ? Qui sont leurs enquêteurs préférés ?

Pour répondre à ces questions et en savoir plus sur ce lecteur accro aux frissons, Babelio a mené une enquête du 20 au 27 février 2017, auprès de 4 771 répondants au sein de sa communauté d’utilisateurs. Les résultats, présentés par Octavia Tapsanji, responsable des relations éditeurs, et Guillaume Teisseire, co-fondateur de Babelio, ont notamment été mis en parallèle avec les résultats obtenus grâce à une précédente étude effectuée trois ans plus tôt, en 2014.

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Des lecteurs conquis et curieux

Comme de coutume dans les enquêtes sur le lectorat de Babelio, on trouve chez les répondants une majorité de femmes (80%) et d’adultes : 60% des lecteurs interrogés ont entre 25 et 54 ans. La première chose que l’on constate est que le polar est un genre très répandu auprès des lecteurs puisqu’ils sont 93% des répondants à affirmer en lire. Les 7% qui n’en lisent pas, qui représentent un peu plus de 300 personnes, ont donné plusieurs raisons à cela : alors que certains préfèrent suivre des enquêtes policières à la télévision ou au cinéma, d’autres admettent qu’ils connaissent mal le genre, lui en préfèrent d’autres ou ont un besoin de s’évader auquel les polars ne répondent pas. Quelques critiques ont également été émises concernant le genre policier, qui a été jugé trop lassant et répétitif, et parfois trop violent.

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Les lecteurs interrogés sont également de grands lecteurs : 95% d’entre eux lisent un livre par mois et 40% un par semaine. Pour plus d’un tiers des lecteurs, le polar représente plus de 50% de leurs lectures. Un autre tiers des lecteurs est quant à lui un public curieux, puisque les romans policiers représentent moins de 25% de leurs lectures.

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Pourquoi lire du polar ?

C’est d’abord la construction des romans policiers qu’apprécient les lecteurs, puisqu’ils se dirigent en majorité vers le polar pour le suspense des enquêtes et pour leurs intrigues. En second lieu, ce sont les personnages et leur psychologie atypique qui plaisent aux lecteurs. Ils sont également nombreux à apprécier la dimension sociétale des romans policiers et à aimer se plonger dans des géographies et milieux différents. Enfin, si les lecteurs apprécient ces enquêtes, c’est également parce qu’elles leur permettent de s’évader et leur offrent un vrai divertissement.

Quelques réponses surprenantes ont aussi été relevées, qui reflètent de manière très anecdotique une certaine fascination pour les meurtriers : 1275 âmes m’a aidé à ne tuer personne”, avoue ainsi un répondant.

Etude polar Babelio_022017_nuage

Le polar ou les polars ?

Loin d’être un sous-genre, pour 55% des lecteurs interrogés, le polar est devenu un genre littéraire reconnu par tous. Pourtant, 40% des personnes interrogées pensent que sa reconnaissance s’améliore progressivement ou reste à acquérir.

75% des enquêtés font la différence entre les genres et sous-genres de polar : historique, roman noir, thriller psychologique, fantastique… On peut ainsi noter une légère différence de lectorat pour les romans noirs, qui séduisent davantage les hommes que les autres sous-genres.

Etude polar Babelio_022017_différents sous genres

Si les polars français sont les plus appréciés des répondants, suivis de près par les polars américains, scandinaves et anglais, c’est surtout la variété que semblent apprécier les lecteurs : quelques pays plus inattendus ont également été mentionnés par les lecteurs, comme le Japon et l’Afrique du Sud.

Etude polar Babelio_022017_zones geographiques

Enfin, ce sont essentiellement les grandes figures du polar qui ont introduit les lecteurs aux romans policiers, comme en témoignent les auteurs classiques Mary Higgins Clark, Georges Simenon, et Arthur Conan Doyle, et les auteurs contemporains Fred Vargas et Harlan Coben, qui occupent le haut du classement. Ils sont cependant distancés, et de loin, par Agatha Christie, qui a introduit 1 336 répondants au polar : cela représente près de 10 fois l’auteur qui arrive en seconde position, Mary Higgins Clark (186 citations). Étonnamment, Enid Blyton, l’auteur du Club des cinq, fait également partie des auteurs ayant amené les lecteurs vers le roman policier.

Etude polar Babelio_022017_auteurs

Des lecteurs de plus en plus tournés vers la lecture numérique

Si les lecteurs Babelio sont des lecteurs connectés, ce sont avant tout de grands lecteurs qui multiplient les lieux d’achat sans être exclusifs : la librairie, les grandes surfaces culturelles et les sites de vente en ligne sont ainsi les trois réseaux d’achat privilégiés par les enquêtés. Cette distribution des ventes est relativement similaire à celle des autres genres.

Les lecteurs ont ensuite été interrogés sur le format de leurs lectures, et notamment sur la part du format poche et numérique. Tandis que deux tiers des lecteurs lisent majoritairement en poche, ils sont 42% à lire du polar en numérique : parmi les différents sujets testés dans l’étude de 2017, c’est celui pour lequel on mesure l’évolution la plus importante en comparaison avec l’étude de 2014, puisqu’ils n’étaient que 28% des répondants il y a trois ans.

Etude polar Babelio_022017_numérique

Concernant le prix attendu des romans, on constate tout d’abord que les attentes des lecteurs n’ont pas varié en trois ans : ils s’attendent toujours à acheter un polar en poche au prix de 8 € et en grand format au prix de 19 €. En revanche, il n’y a pas de consensus sur le prix du livre numérique -sinon que les lecteurs ne veulent pas le payer plus cher qu’un grand format.

Etude polar Babelio_022017_prix numérique

L’importance du bouche-à-oreille

Les lecteurs ont ensuite été interrogés sur la façon dont ils découvrent de nouveaux romans policiers. Pour la plupart d’entre eux, c’est le bouche-à-oreille qui est le principal vecteur de découverte, puisqu’ils s’appuient surtout sur Babelio et sur les avis de leur entourage. Les médias traditionnels viennent en troisième position, suivis par la librairie. Les lecteurs de polars de Babelio n’étant pas exclusifs, les sites et forums spécialisés n’ont été que très peu cités.

Etude polar Babelio_022017_bao

Très informés, ces grands lecteurs ne ressentent pas nécessairement le besoin de se fier aux prix littéraires ; de fait, seul un tiers des lecteurs interrogés y est attaché. Si les principaux prix littéraires (Prix Polar SNCF, Prix Quai des Orfèvres, Prix Polar de Cognac, Prix Quais du Polar) sont bien connus des répondants, on note en outre une légère progression dans la connaissance des prix, par rapport à 2014. Le Prix Polar SNCF est ainsi connu de 76% des lecteurs, alors qu’ils étaient 60% à le connaître en 2014.

Finalement, les critères principaux auxquels sont attachés les lecteurs lorsqu’ils choisissent un livre sont l’univers du livre, son sujet, le résumé et le nom de l’auteur. En revanche, la maison d’édition semble avoir peu d’influence sur le choix des lecteurs puisque seul un tiers d’entre eux y accorde de l’importance. Alors que les maisons d’édition et collections emblématiques sont les plus connues des lecteurs (Actes Sud, Rivages, Babel Noir, Points, 10/18 et Sonatine), quelques nouvelles maisons d’édition et collections se distinguent également, notamment La Bête noire de Robert Laffont.

D’Adamsberg à Cormoran Strike

Les lecteurs ont ensuite été interrogés sur une figure emblématique du roman policier : l’enquêteur. Ils sont ainsi 58% à indiquer être attaché à un personnage récurrent. Sur le podium, trois personnages classiques séduisent les lecteurs : Jean-Baptiste Adamsberg, le héros de Fred Vargas, Kurt Wallander, le commissaire créé par Henning Mankell, et le détective belge Hercule Poirot, d’Agatha Christie.

Si plus de la moitié des lecteurs restent attachés à la figure d’un héros récurrent, ce nombre a cependant baissé par rapport à 2014, où ils étaient 66%. Si le succès de certains one shot tels que La Fille du train ou Les Apparences peut expliquer cette baisse, il semblerait tout de même que l’émergence de nouveaux enquêteurs et de nouvelles séries à succès soit encore possible, comme en témoigne l’entrée dans le classement de Yeruldelgger, le héros créé par Ian Manook, et de Cormoran Strike, le détective privé de Robert Galbraith, alias J.K. Rowling.

Etude polar Babelio_022017_héros

Du noir vers la blanche

Enfin, les lecteurs ont été interrogés sur les publications croisées et plus particulièrement la publication d’auteurs de romans policiers dans des collections de littérature blanche. Pour cela, l’exemple de la saga Malaussène de Daniel Pennac, passée en 30 ans de la Série Noire à la Blanche de Gallimard, a été proposé aux lecteurs interrogés. Les réponses sont très partagées : tandis que certains répondants s’accordent à dire que cela peut amener de nouveaux lecteurs vers le polar et apprécient ce décloisonnement des genres ainsi que la légitimité que cela donne aux romans policiers, d’autres regrettent ce manque d’identification. En effet, ils trouvent bon que les polars soient identifiés comme tels et déplorent le manque de caractère des couvertures de littérature générale.

Etude polar Babelio_022017_malaussene

Suggestions et conclusions

Par rapport à l’étude réalisée en 2014, la progression de la lecture numérique est finalement la principale évolution constatée, puisque le polar s’impose, avec la romance, comme le genre le plus lu sous ce format. Les lecteurs ont par ailleurs souhaité encourager les maisons d’édition de romans policiers à communiquer davantage sur les réseaux sociaux et à y être plus présents.

Très informés et en capacité de choisir entre les différents sous-genres, les lecteurs de polars invitent logiquement les éditeurs à soigner leurs couvertures et quatrièmes de couvertures, à y être éclairants tout en faisant attention à ne pas y dévoiler des éléments clés de l’intrigue.

Enfin, malgré leur préférence persistante pour les polars français, anglo-saxons et scandinaves, ils ont souhaité encourager les éditeurs à publier plus d’auteurs de nationalités moins représentées par le genre.

Retrouvez notre étude complète sur les lecteurs de polar

Où Babelio présente une étude sur les adaptations de livres au cinéma

Dans le cadre de son cycle de conférences sur les « pratiques des lecteurs », Babelio a présenté le 23 février dernier une nouvelle étude sur les adaptations de livres au cinéma. Quel est le rapport des lecteurs aux adaptations ? Savent-ils toujours qu’un film est tiré d’un livre ? Quel chemin font-ils du livre au film ou du film au livre ?

Adaptations de livres au cinéma

Pour répondre à ces questions et en savoir davantage sur les amoureux du cinquième et du septième art, Babelio a mené une enquête durant la dernière semaine de janvier auprès de 2 262 répondants au sein de sa communauté d’utilisateurs.

table des invités

Quatre intervenants étaient présents pour nous aiguiller et partager leurs avis face aux résultats : Caroline Bismuth-Dardour, présidente de Silenzio (agence de publicité spécialisée dans les sorties cinéma),  Nathalie Cerdin, responsable marketing de Bayard Jeunesse, Manuel Soufflard, chef de groupe marketing chez J’ai Lu ainsi qu’Alexis Mas, président de Condor Entertainment (compagnie d’édition et de distribution cinématographique). L’étude a été présentée par Octavia Tapsanji, responsable des relations éditeurs de Babelio, puis suivie d’un débat animé par Guillaume Teisseire, co-fondateur de Babelio.

Nos participants

De gauche à droite : Caroline Bismuth-Dardour, Manuel Soufflard, Nathalie Cerdin et Alexis Mas

Cinéma et littérature se mêlent et s’entremêlent, si bien que depuis quelques années, on ne peut que constater que le premier a tendance à se nourrir de la seconde, et ce quel que soit le genre de l’œuvre en question. Du fantastique, en passant par la romance ou par le polar, sans oublier les adaptations de bandes dessinées, les livres forment une source d’inspiration intarissable. Pour preuve, parmi les films ayant dépassé les 100 000 entrées en salle en 2016, un sur quatre était adapté d’une œuvre littéraire.

L’enjeu de telles adaptations est double : pour les producteurs et distributeurs, les lecteurs forment un public de fans de l’œuvre à conquérir ; pour les éditeurs, une adaptation peut donner un second souffle à un ouvrage qui trouvera alors un nouveau lectorat. De fait, le lecteur occupe une place prédominante dans la promotion du projet, ce pourquoi il est capital de le connaître un peu plus.

Le profil des lecteurs

Une fois encore, la grande majorité des répondants sont des lectrices. Elles sont, pour cette étude, 84% à s’être prêtées au jeu. Cette caractéristique reflète la communauté des inscrits sur Babelio puisqu’on ne compte pas moins de 80% de femmes sur le site et s’accorde avec le lectorat français qui a une forte propension féminine. Néanmoins, cette particularité tend à s’estomper si l’on s’intéresse au trafic du site qui génère « seulement » 60% de femmes.

proportion homme femme

Tous les répondants font partie d’un public adulte mais l’on note tout de même qu’un sur deux a entre 25 et 45 ans. Jeune et féminin, notre panel est aussi composé d’une écrasante majorité de grands lecteurs. 94% d’entre eux déclarent lire plus d’un livre par mois, contre 16% de la population française et près de la moitié (47%) lisent au moins un livre par semaine.

Les interroges sont de grands lecteurs

Près de sept interrogés sur dix sont aussi de précieux prescripteurs qui n’hésitent pas à recommander des ouvrages aux plus jeunes en tant que parents, professeurs, bibliothécaires ou tout simplement en qualité de lecteurs. Ce point est d’autant plus important que près de neuf personnes sur dix (88%) considèrent que les adaptations amènent les enfants à la lecture.

lecteurs prescripteurs

Le niveau d’information des lecteurs sur les adaptations

Si l’on sait les grands lecteurs extrêmement bien informés sur les différentes parutions en librairie, qu’en est-il de leur niveau d’information sur les adaptations cinématographiques ? Pour le savoir, ils ont été soumis à une série d’affiches à partir desquelles ils devaient indiquer s’ils savaient ou non que ces films étaient tirés de livres.

On constate d’emblée que même si les lecteurs ne savent pas systématiquement qu’un film est une adaptation, ils sont tout de même plus au fait que les spectateurs. Par exemple, plus de la moitié des répondants (54%) sait que le film d’animation Ma vie de Courgette est tiré d’une œuvre littéraire, mais il y a fort à parier que les résultats n’auraient pas été les mêmes si la question avait été posée à des spectateurs à la sortie du film. Cependant, même chez les grands lecteurs, on note que cette connaissance dépend surtout de la notoriété de l’œuvre originale. D’autre part, pour tester la bonne foi des lecteurs, Mad Max : Fury Road était aussi proposé dans la liste bien que le film ne soit évidemment pas une adaptation… sauf pour 322 lecteurs.

Les lecteurs ne savent pas ce sont des adaptations

On note aussi que les grands lecteurs sont globalement mal informés de la sortie des adaptions quand bien même tout laisse à penser qu’ils forment le public cible. Si l’on met de côté Un sac de billes dont plus de quatre lecteurs sur cinq (83%) savent que le livre a été adapté au cinéma, on constate un flagrant déficit de notoriété auprès du public des grands lecteurs. En effet, moins de 30% d’entre eux savent par exemple que Seul dans Berlin a été adapté sur grand écran. Cela est d’autant plus dommage lorsque l’on sait que 36% de ces lecteurs seraient allés voir le film s’ils avaient eu connaissance de sa sortie.

Les lescteurs sont mal informés des sorties

La consommation des lecteurs

Pour les grands lecteurs, lire le livre qui va être ou a été adapté pousse à voir l’adaptation. En effet, neuf lecteurs sur dix déclarent être allés voir un film parce qu’ils avaient appréciés le livre d’origine.

Parmi les films les plus vus après avoir lu l’ouvrage, on trouve une large variété de genres. Nombreux sont ceux à avoir cité des œuvres fantastiques comme les séries Harry Potter, Hunger Games, Le Seigneur des Anneaux ou encore Divergente. Mais la littérature générale avec Elle s’appelait Sarah ou La couleur des sentiments, le polar avec Gone Girl ou la saga Millenium et même la littérature classique avec Jane Eyre ou Gatsby le Magnifique ne sont pas en reste. Exception faite pour les puristes (qui représentent une minorité de 4%), les lecteurs apprécient de savoir qu’un roman qu’ils ont particulièrement aimé va être adapté et sont prêts à aller voir le rendu sur grand écran.

Films les plus vus après la lecture du livre

Réciproquement, la très grande majorité des lecteurs (97%) a déjà lu un livre après avoir vu le film dont il a été adapté. C’est donc un parfait exemple de fertilisation croisée où la découverte se fait dans les deux sens : le public du livre élargit celui du film et inversement.

Livres les plus lus après visionnage du film

La lecture de romans à suspense après le visionnage du film ne semble pas retenir les lecteurs puisqu’ils citent de nombreux thrillers qui ont la particularité d’avoir un twist final important comme Shutter island ou Ne le dis à personne. Toutefois, on note une certaine préférence des lecteurs à lire l’œuvre avant de la voir puisque les trois quarts préfèrent dévorer l’ouvrage avant de foncer dans les salles obscures.

Lire le livre avant le film

Et si l’on compare l’original et l’adaptation ?

Lorsque l’on interroge les lecteurs sur les adaptations qui les ont agréablement surpris, on distingue clairement des films qui ne sont pas des adaptations au pied de la lettre du livre mais qui, au contraire, proposent un regard particulier sur celui-ci. C’est le cas par exemple de Shining ou de  Gone Girl qui ont su séduire même si elles étaient éloignées du texte original. Manuel Soufflard va lui aussi dans ce sens : « Je ne pense pas que vous seriez capable de me donner dix titres d’adaptations meilleures que l’original, et si elles le sont, elles sont en général totalement dissociées de l’œuvre. Dans des cas comme cela, où les deux œuvres sont éloignées, est-ce vraiment intéressant pour l’éditeur de faire la filiation ? Après, il s’agit d’un nombre de cas restreints où l’éditeur ne pouvait pas s’appuyer sur le livre, par exemple s’il était très peu lu comme Chuck Palahniuk pour Fight Club. À l’inverse, si le film fonctionne, il peut être intéressant de communiquer dessus pour relancer le livre ».

Bonnes adaptations

À l’inverse, on note parmi les adaptations qui ont le plus déçu les lecteurs de nombreux films fantastiques comme Eragon, Divergente, À la croisée des Mondes ou Miss Peregrine. Ces titres ont en commun le fait d’avoir des univers forts dont la représentation visuelle n’a peut-être pas été à la hauteur des espérances des lecteurs.

Pour Alexis Mas, le point noir est plutôt à chercher du côté du manque de profondeur de ces adaptations : « Ce n’est pas tant la mise en images qui déçoit les lecteurs car le budget alloué à cela est suffisamment conséquent mais la retranscription du récit et des caractérisations du livre. Elles sont souvent ratées et cela donne des films froids, sans âme. »

À noter, le cas particulier de la saga Harry Potter pour qui les lecteurs sont partagés puisqu’elle figure dans les deux catégories.

Mauvaises adaptations

Pourtant, les lecteurs s’accordent à dire que les littératures de genre semblent propices à l’adaptation, en particulier le fantastique et les littératures de l’imaginaire (59%), le polar (79%) et le roman historique (66%). En revanche, la littérature générale se place dans les dernières positions avec 32%, devançant ainsi les BDs, comics et mangas (18%).

Les genres propices à l'adaptation

Les changements engendrés par les adaptations

Les éditeurs capitalisent souvent sur la sortie du film pour refaire la couverture d’un livre adapté avec l’affiche de celui-ci. Quel que soit le genre en question (jeune adulte, chick-lit, polar, classique), les grands lecteurs préfèrent la couverture originale à celle reprise de l’affiche bien que certains titres comme Cosmopolis ou Un long dimanche de fiançailles fassent figures d’exception. D’ordinaire, cette reprise est plutôt destinée à conquérir un public de nouveaux lecteurs et cela se confirme dans les réactions des grands lecteurs : 38% d’entre eux n’apprécient pas les couvertures reprises d’un film bien qu’un quart admet tout de même que cela est une bonne chose en plus de pouvoir attirer l’attention.

Les grands lecteurs préfèrent la couverture originale

Pour Manuel Soufflard, la couverture des livres qui ont bien fonctionné a tendance à se figer dans l’esprit du lecteur. Pour ceux qui n’ont pas eu le même succès, la couverture qui reprend l’affiche peut être un vrai levier : « Shining reste très attaché à l’affiche du film par exemple. » Nathalie Cerdin ajoute : « Les droits de conserver la couverture d’un livre sont très courts. On les obtient pour la sortie du film au cinéma, puis pour sa sortie DVD. Mais un an après, dans la majeure partie des cas, on retrouve la couverture d’origine, ce qui devrait consoler les grands lecteurs. » Cependant, elle voit une certaine contradiction entre ce désamour de la couverture tirée de l’affiche et le manque d’informations précédemment abordé dont disposent les grands lecteurs sur les sorties d’adaptation : « La couverture est une vraie vitrine pour faire le relai entre le cinéma et le livre ».

Inversement, voir le titre d’un livre sur l’affiche d’un film n’est pas gage de qualité pour les grands lecteurs mais cela attise la curiosité de près de trois quarts d’entre eux.

Mention du livre sur l'affiche

Pour ce qui est des changements de titres engendrés par une adaptation, les lecteurs ont des avis quelque peu partagés. En général, moins le livre est populaire, moins l’attachement à son nom d’origine est fort. Par exemple, pour le livre Léon Morin, prêtre de Béatrix Beck adapté au cinéma sous le nom de La confession par Nicolas Boukhrief, seuls 35% des interrogés auraient préféré que le titre du roman soit conservé tandis que 46% aurait préféré que le film Mister Ove d’Hannes Holm garde son titre d’origine Vieux, râleur et suicidaire.

la confession

mister owe

Les causes de ces changements de noms sont multiples. Pour Nathalie Cerdin, ils sont parfois nécessaires pour ne pas induire en erreur le public qui découvre l’adaptation  : « Pour le film Le septième fils de Sergey Bodro, le titre choisi est différent de celui de la saga d’origine, qui est L’épouvanteur. Ce nom évoquait plutôt un film d’horreur. Puisqu’ils ont été dissociés, cela a été à nous de faire se rejoindre les deux, mais rien n’a été changé sans l’accord de l’auteur. En général, quand il y a un changement de titre, il faut arriver à mettre l’original sur l’affiche. »

Alexis Mas partage cet avis : « Le médecin d’Ispahan, qui a été adapté sous le nom de L’oracle, avait des lecteurs avant sa sortie en salle. Il a fallu les faire revenir, surtout que l’adaptation était bonne, mais sans utiliser le même titre qui ne crée pas d’envie lorsque l’on n’a pas ce rapport au livre. Il y a donc eu un retitrage au niveau français pour le titre du film afin qu’il soit plus large et plus fédérateur. À cela, on a ajouté des informations pour ne pas couper le lectorat d’origine. On a par exemple gardé le même visuel pour le livre et le film, mais pas leur nom ».

Invités

Manuel Soufflard invoque quant à lui une autre raison : « Il y a aussi un effet dû à la mondialisation : quand le titre n’est pas le même en français, il faut réussir à suivre. Depuis peu, on voit s’accentuer le fait de garder le nom anglais, même en français, voire même de mettre les deux titres (français et anglais) sur la couverture. Il vaut quand même mieux garder le titre anglais si le film est plus populaire que le livre ».

Les livres que les lecteurs rêveraient de voir adaptés au cinéma

Dans leurs rêves les plus fous, les grands lecteurs aimeraient voir adaptée en salles obscures une gamme de genres, là encore, très variée. On y trouve par exemple La nuit des temps de René Barjavel  ou La passe-miroir, tome 1 : Les fiancés de l’hiver de Christelle Dabos. Plus surprenant, on trouve des titres de littérature générale comme L’amie prodigieuse d’Elena Ferrante ou Chanson douce de Leïla Slimani quand bien même les lecteurs n’avaient pas jugé le genre propice à l’adaptation auparavant.

Les livres que les lecteurs rêvent de voir adaptés

Le débat

Guillaume Teisseire a fait suite à la présentation d’Octavia Tapsanji pour animer un débat autour de l’enquête.

Caroline Bismuth-Dardour prend la parole la première pour exprimer sa surprise « en bien » de la réciprocité du lien entre livre et film. Pour elle, l’adaptation de film crée une relation entre cinéma et littérature plus forte qu’elle ne l’aurait imaginé. Manuel Soufflard est lui aussi ravi de cet effet double. « Hélas, nous dit-il, cela ne peut pas fonctionner automatiquement. Il n’y a pas de lien systématiquement établi entre les deux mais c’est réjouissant quand ça l’est ». Nathalie Cerdin est, quant à elle, un peu plus catégorique : « Dès la bande annonce, on sent si le lecteur d’origine va accrocher. Et cela permet aussi de faire découvrir le livre à un nouveau lectorat ».

Nos participants

En ce qui concerne le rôle du grand lecteur dans le lancement d’une adaptation, il en est pour Caroline Bismuth-Dardour l’acteur capital : « Les grands lecteurs sont des ambassadeurs qu’on va chercher très tôt et en même temps, on les craint car on a très peur du bouche à oreille défavorable. On commence la communication autour d’un film très tôt. On va donc chercher le public acquis, c’est-à-dire les lecteurs, et il faut le rassurer avec des éléments de communication et des informations distincts. C’est ce qui est fait par exemple autour de la sortie de Valérian où Jean-Claude Mézières accompagne Luc Besson pour créer une filiation autour de la BD. En revanche, lorsque le film est très mauvais, on ne va surtout pas les chercher. »

Manuel Soufflard partage le même avis : « Pour des projets d’adaptations de livres de genre comme l’imaginaire ou le policier, la communication se fait très en amont et repose sur le livre. Ce qui compte pour une sortie cinéma, c’est le jour de la sortie. Il n’y a donc rien de mieux pour démarrer un film que de préparer une communauté de lecteurs acquise en amont. » Il va même plus loin pour le cas particulier des adaptations de long-sellers : « Pour les cas des long-sellers, il ne faut surtout pas perdre la communauté relais mais faire une passerelle entre les deux œuvres. Pour ce faire, il y a de multiples leviers, la couverture n’est que la pointe de l’iceberg : on peut faire des campagnes d’affichage, faire passer l’information sur les réseaux commerciaux, les réseaux sociaux, mettre des affiches en librairie, sur les communs. Tout dépend surtout du budget ».

Notre public

Cependant, selon Alexis Mas, miser uniquement sur le fait que l’œuvre soit une adaptation n’est plus pertinent aujourd’hui : « Les grands lecteurs sont en général au courant de la sortie d’une adaptation. Les mentions « inspiré d’une histoire vraie » ou « adapté de » sont devenues très galvaudées et trop récurrentes pour générer de l’envie. » Manuel Soufflard étaye d’ailleurs cette idée avec ces chiffres : « Au Livre de Poche par exemple, il y a 700 titres sur 6 500 en vue pour être des adaptations. Mais en réalité, à peine 10% de ce chiffre verront le jour. C’est sûrement le même cas sur le catalogue poche de Folio. »

En revanche, tous s’accordent à dire qu’ils doutent que l’œuvre originale puisse être un élément gênant dans la communication autour de tel projet. Il faut toutefois savoir, dans une seconde étape, s’en détacher, comme nous l’explique Manuel Soufflard : « Une fois la filiation rappelée, il faut à un moment donné s’affranchir du livre pour montrer l’apport du film sinon cela n’a pas vraiment d’intérêt. Et puis cela permet aussi de s’élargir à ceux qui n’ont pas lu le livre ou ne le connaissent pas du tout ».

C’est sur ce consensus que s’est terminé le débat, après quoi tous nos participants ont été conviés à un buffet où se sont prolongées les conversations. Merci à nos quatre invités pour leur intervention.

Retrouvez l’intégralité de l’étude sur SlideShare.

Qui sont les lecteurs de séries et sagas ? Etude de lectorat

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Dans le cadre de son cycle de conférences sur “les pratiques des lecteurs”, Babelio a présenté le 23 juin 2016, sa dernière étude de lectorat, portant sur les séries et sagas littéraires. Plus précisément, le réseau social s’est intéressé aux pratiques de ces lecteurs : comment choisissent-ils leurs lectures ? Que recherchent-ils précisément ? Quelle image véhicule ce type de publication ? Quels en sont les prescripteurs ?

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L’étude a été menée du 1er au 6 juin 2016, auprès de 4 874 internautes.

Comme à l’accoutumée, étaient réunis autour d’une table ronde, trois professionnels du livre, invités à apporter leur éclairage sur les résultats de l’enquête :

Églantine Gabarre, responsable du pôle marketing digital du groupe Delcourt

Florian Lafani, responsable du développement numérique et éditeur aux éditions Michel Lafon

Antoinette Rouverand, directrice marketing aux éditions Jean-Claude Lattès

Une fois le tour de table réalisé par Guillaume Teisseire, cofondateur de Babelio, les résultats ont été présentés par Octavia Tapsanji, responsable des relations éditeurs chez Babelio.
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La part que représentent les séries dans l’ensemble des lectures des internautes interrogés est relativement variable : un quart des sondés lisent majoritairement des séries alors que 10% n’en lisent pas du tout. Plus précisément, les séries représentent une proportion variée en fonction des genres littéraires lus. Par exemple, les séries représentent 50% des lectures pour les amateurs de fantasy et de littérature jeunesse, alors qu’elles ne correspondent qu’à 20% des lectures des amateurs de littérature ou de polar. En revanche, ce dernier chiffre montre que ces deux genres sont malgré tout susceptibles de séduire des lecteurs de séries alors même que peu de romans policiers ou de littérature générale sont publiés sous forme sérielles.

Les séries représentent donc un genre majoritairement lu par les interrogés, ce que souligne Antoinette Rouverand : “ On sait que les séries ont un public. La preuve en est que si un one shot, un roman en un seul tome, se vend bien, comme Nos étoiles contraires de John Green, les autres titres de l’auteur réalisent ensuite des scores de ventes tout aussi élevés.” Florian Lafani poursuit : “Les séries sont à double tranchant : elles sont celles qui peuvent réaliser les plus gros succès mais également devenir un énorme poids pour les éditeurs. C’est un très gros risque pour nous car en cas d’échec, nous sommes confrontés au problème de l’arrêt en cours de série, qui déçoit énormément les fans. Il est d’autant plus difficile de prédire le succès des séries que certaines qui connaissent un succès indéniable aux États-Unis ne trouvent au contraire pas leur public en France. De plus, lorsque la série américaine fonctionne, elle multiplie ses tomes et nous éditeurs, face à un public absent, ne pouvons absolument pas nous permettre de les suivre.”

Face à ce constat, nous avons interrogé les lecteurs sur leurs motivations et leurs réticences à la lecture de séries. Si certains lecteurs ne s’y aventurent pas, c’est en premier lieu parce qu’ils manquent de patience, relative au temps de parution de chacun des tomes. Par ailleurs, ils craignent pour la qualité de l’écriture (qui serait moins bonne que sur un livre en un seul tome) et c’est davantage la nouveauté qui attise leur curiosité.

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Qu’apprécient alors les lecteurs de séries dans ce format ? Selon les résultats obtenus lors de l’enquête, il semblerait que l’univers soit l’attrait principal d’une série. Ainsi, si les lecteurs sont nombreux à vouloir connaître la suite d’un roman, ils soulignent majoritairement leur attachement à l’univers du roman, d’autant plus lorsque ce dernier est bien développé. Le format des séries convient par conséquent mieux aux lecteurs aimant se plonger dans un univers complexe, qui se développe sur plusieurs tomes.

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Face à ces résultats, Églantine Gabarre voit dans les réseaux sociaux, une des raisons qui expliquerait ce constat : “Les réseaux sociaux ont complètement bouleversé les pratiques des lecteurs et leurs rapports aux éditeurs. Les réseaux constituent un nouveau mode d’accès à l’univers d’une série.” Travaillant notamment sur la série The Walking Dead, elle cite l’exemple du formidable succès de la bande dessinée : “Pour ce genre de séries littéraires, le succès ne surgit pas dès la parution du premier tome. Il a fallu ici, et c’est souvent le cas, attendre la programmation du premier épisode de la série à la télévision aux États-Unis pour voir l’engouement des fans se concrétiser en librairie. Pour The Walking Dead, lorsqu’est sorti le premier épisode de la série télévisée, les stocks ont été vidés en quelques jours. Nous n’avions aucune idée de combien il fallait en réimprimer, ce cas était complètement nouveau pour nous. Cela uniquement parce que les fans, grâce aux réseaux, ont partagé l’engouement américain pour l’arrivée de la série et ont pu connaître la date de programmation des épisodes télévisés. Cette adaptation a sonné le top départ du succès en librairie en France, qui dure aujourd’hui depuis 25 tomes” . Plus encore qu’une possibilité d’accroître les ventes du papier, le phénomène des réseaux a complètement modifié le travail des maisons d’édition, ce que souligne Églantine Gabarre : “L’actualité fait véritablement partie de notre travail désormais. Nous devons tout surveiller, partout dans le monde. Nous ne devons pas nous faire surprendre, ce qui nous est arrivé avec The Walking Dead à l’époque. Nous devons effectuer un travail de veille incessant, ainsi que développer notre proximité avec les lecteurs, beaucoup plus qu’il y a quelques années.”

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Les lecteurs ont ensuite été interrogés à propos de leurs séries préférées, par le biais d’une question ouverte. Nous avons choisi de lister ci-dessus, les 72 séries les plus populaires. Trois genres semblent se démarquer dans cette liste : le Young Adult et la Bit Lit, regroupés pour les besoins de l’étude, représentent 25% des séries citées, la jeunesse 20% et la SF/Fantasy, 20%. Au global, nous avons pu constater que sur ces 72 séries, 41 d’entre elles ont été l’objet d’une adaptation à l’écran. Il semble en effet exister une véritable communication entre ces deux supports, série littéraire et cinéma puisque 90% des interrogés déclarent aller voir les adaptations des séries lues, dont un quart systématiquement. La série littéraire dépasse dans ce cas son support d’origine, ce qui concorde avec le fait que l’univers de la série apparaît comme l’attrait majoritaire des séries pour leurs lecteurs, ce que nous avons vu précédemment. Antoinette Rouverand précise : “Il est indéniable que les adaptations contribuent au succès des livres papier. Les meilleures ventes ont été atteintes par des séries adaptées au cinéma. De plus, il convient de rappeler que les ventes du livre sont souvent coordonnées avec l’annonce d’une date de parution du film. J’ai travaillé au lancement de la série Twilight, et c’est seulement au moment de la parution du tome 4 que le succès est véritablement venu, alors que la presse évoquait les débats concernant le casting du premier film. Les réalisateurs ont créé un buzz qui a été très bénéfique pour les ventes papier. Seuls les comics ont un public si particulier que la parution d’un nouveau volume suffit à créer l’engouement. Le plus dur avec les séries finalement, c’est de les lancer sans film.”

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La notion de licence semble dès lors constitutive d’une série réussie, ce qu’explique par la suite Églantine Gabarre : “La licence permet de faire vivre l’univers. L’enjeu principal d’une série est selon moi de construire un univers suffisamment complexe pour permettre d’entretenir l’intérêt des lecteurs dans la durée et parfois même, au delà de la publication du dernier tome. La licence apparaît lorsque la série atteint le stade “d’univers” à proprement parler, lorsqu’elle s’émancipe du simple cadre du livre. Bien sûr, cette notion est encore aujourd’hui plutôt anglo-saxonne et existe en France surtout dans le manga, qui parviennent pour certains à se déployer sur soixante tomes et tout autant d’animés. En bande dessinée, on peut dire que la série en est la forme de prédilection, par nature, c’est ainsi que la bande dessinée est née et nous comptons donc sur une certaine appétence des lecteurs à ce découpage en différents volumes d’une même histoire, comme pour le manga. En revanche, notre difficulté, commune avec le roman, c’est le recrutement de nouveaux lecteurs à parution de chaque tome. Voilà l’angle que nous cherchons à améliorer au quotidien.”

Nous avons ensuite interrogé les lecteurs sur leur mode de consommation des séries littéraires. En effet, si les séries télévisées invitent à une consommation que nous appellerons “en continu”, cela ne semble pas être le cas des livres. On note que pour les séries parues dans leur intégralité, plus de la moitié des lecteurs entrecoupent la lecture de la série avec d’autres livres. Par ailleurs, les intégrales sont achetées par 40% des interrogés.

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Si 60% des lecteurs interrogés ont déjà abandonné la lecture d’une série en cours, les raisons de cette démission sont multiples. Ils évoquent notamment le temps d’attente trop long entre la publication de chaque tome, le fait que la série comporte trop de volumes ainsi que le manque d’intérêt pour le tome précédent.

Églantine Gabarre explique, d’un point de vue éditorial, tout l’enjeu que représente la publication d’une série, vis à vis du public : “L’investissement communicationnel pour une série est définitivement plus important que pour un one shot car il faut communiquer à chaque parution. L’essentiel est de parvenir à disposer d’une base de lecteurs de départ, qu’il s’agira de faire grossir par la suite.” Elle évoque à ce sujet l’idée d’un empilement. Quelle recette pour recruter continuellement des lecteurs ? Pour elle, il s’agit de faire vivre l’univers au maximum  : “Si l’on poursuit l’exemple de The Walking Dead, les producteurs sortent à présent une deuxième série, afin de poursuivre le recrutement de nouveaux lecteurs tout en satisfaisant les fans. Cette série représente un bel enjeu pour nous. Voilà quel est en définitive notre enjeu marketing principal : chercher continuellement de la matière à fournir au public, déjà lecteur ou non. Je crois que pour ce faire, la meilleure méthode est d’interroger subtilement les fans pour savoir ce qu’ils souhaitent lire de plus que ce qu’ils savent déjà.”

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Antoinette Rouverand évoque à son tour le rôle du poche dans le recrutement de nouveaux lecteurs : “En Young Adult, le poche ne sort que très tard par rapport au grand format. Harry Potter est l’une des seules séries à avoir combiné la sortie poche et grand format et même si cela n’est pas la seule raison de son succès planétaire, je pense que cela a joué de façon non négligeable sur les ventes. La parution en poche permet de séduire un nouveau type de lectorat.” Florian Lafani confirme : “Oui, le poche créé une synergie avec le grand format, on sait qu’il est bénéfique pour les ventes, que les séries marchent ou non. Je pense notamment aux jeunes qui n’ont pas le budget pour s’offrir le grand format.”

Le poche apparaît effectivement comme une bonne solution pour recruter de nouveaux lecteurs. Antoinette Rouverand évoque à cette occasion la publication numérique, qui apparaît alors comme une alternative à la version poche : “Nous sortons systématiquement les ouvrages en format ebook, au même prix qu’en version de poche. Le numérique ouvre le champ des possibles en termes éditoriaux, beaucoup plus que le livre papier. Ainsi, nous pouvons par exemple proposer des offres promotionnelles sur un tome 1, au moment de la sortie du tome 2, ce qui est impossible avec le papier. Nous pouvons également jouer sur le prix des intégrales. Cela dynamise beaucoup les ventes, même si cela n’a pas le même effet qu’un inédit car le public du livre numérique est encore quelque peu restreint. Ce levier de ventes seul ne suffit pas, il est en revanche un très bon accompagnateur.” Florian Lafani ajoute : “Il est vrai que lorsqu’il s’agit de numérique, tout est question de public. Les jeunes par exemple, alors qu’ils sont les plus connectés, n’achètent pas sur ce support. Même les séries best seller ont du mal à décoller en ebook.”

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Et la bande dessinée, bénéficie-t-elle d’un autre genre de traitement ? “Nous travaillons sur des intégrales également afin de recruter de nouveaux lecteurs mais malheureusement leur effet est relativement mineur en termes de ventes” explique Églantine Gabarre “Nous réfléchissons à  publier des versions en plus petit format à prix réduit, dans une optique parallèle à celle du livre de poche. Pour le moment, en ne sortant qu’en grand format, certains lecteurs sont gênés par le prix. Nous sommes justement en plein débat en ce moment chez Delcourt.”

En revanche, si les lecteurs sont susceptibles de stopper la lecture d’une série en cours de route, l’arrêt d’une publication du côté de l’éditeur est un geste extrêmement mal perçu par le public, ce qu’explique Églantine Gabarre : “L’arrêt des séries n’est pas toujours dû à l’éditeur, il arrive que cela vienne de l’auteur et ça, les lecteurs n’y pensent pas assez. Pour éviter cela, en bande dessinée, nous l’avons compris, nous privilégions les séries en 4 à 5 tomes, afin de ne pas nous trouver confrontés à ce cas trop souvent.”

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Comme nous l’avons vu précédemment, certains lecteurs, au contraire, cherchent à réduire le temps de parution entre chaque tome, quitte à lire les ouvrages dans leur langue originale, ce qui est le cas d’un quart des sondés. Parmi les lecteurs interrogés, 80% déclarent trouver ce temps de parution entre deux tomes trop élevé à leur goût. Selon eux, le délais ne devrait pas excéder 3 à 6 mois. Antoinette Rouverand, partage à ce sujet ses ambitions : “De mon côté, j’aspire à renforcer ma collaboration avec les auteurs français, afin de diminuer ce temps de parution, en supprimant la traduction. Je pense notamment au Messager des vents, paru chez nous en 2015. Le délai entre chaque tome n’a jamais excédé 6-7 mois et nous l’avons ressenti au niveau des ventes. De plus, nous pourrions travailler directement avec l’auteur et imaginer de nouvelles possibilités relatives au public, comme faire intervenir les lecteurs dans le déroulé de l’histoire. U4 a également été un joli succès : les 4 tomes sont parus simultanément, cela n’avait jamais été fait. Nous réfléchissons à nous lancer dans des projets similaires car je pense que l’on se dirige vers une consommation à la Netflix, une consommation d’un seul coup, comme avec les séries. Je souhaiterais véritablement pouvoir aider les auteurs français à percer pour toutes ces raisons.” Florian Lafani complète : “Les lecteurs de version originale nous sont également très utiles car ils jouent le rôle de défricheurs, ils permettent de déceler des succès à venir dans les autres pays, avant que nous ne soyons au courant. Nous évoquions le travail de veille un peu plus tôt, et ces lecteurs en font partie intégrante.”

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Nous avons ensuite interrogé les lecteurs à propos de leur fidélité aux séries. Parmi les plus populaires précédemment citées, nous avons étudié la proportion de lecteurs ayant lu au moins 3 tomes d’une série et avons cherché une constante. Il ne semble cependant par exister de série type, qui permettrait de favoriser la lecture de tous ses tomes, comme le montre le graphique ci-dessus.

Selon Florian Lafani, cette problématique est une question de communication : “Un éditeur ne doit jamais s’arrêter de communiquer sur une série, même si il ne peut évidemment pas se permettre de mettre le même budget sur chacun des tomes. Il faut toujours parler de la série en cours de publication, même si c’est peu. Il faut ensuite tenter de varier les supports afin de renforcer l’engouement des lecteurs pour l’univers de la série, ce que fait très bien une adaptation en BD ou en film par exemple.” Antoinette Rouverand précise ensuite : “Il faut évidemment porter une grande attention à la qualité lorsque l’on décide de développer un univers. Beaucoup de spin off de séries, c’est-à-dire de séries dérivées d’autres séries, sont franchement critiqués par les fans. Il ne faut pas oublier que ces produits éditoriaux dérivés sont immédiatement comparés à l’oeuvre d’origine, souvent difficile à égaler. Je pense qu’il ne faut pas abuser de ce système et surtout ne pas trop s’éloigner de l’univers de base lorsque l’on choisit d’emprunter cette voie.”

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Florian Lafani évoque à son tour la notion de communauté, liée selon lui à la réussite d’un livre : “L’idée de communauté a beaucoup évolué ces dernières années ; Auparavant, nous devions les créer de toute pièce grâce à des sites dédiés à des séries. Aujourd’hui, ce phénomène nous dépasse complètement et de véritables communautés de lecteurs se créent, souvent autour de plusieurs séries littéraires sur un même support, sans que nous ayons à les pousser. Ces communautés participent à faire vivre les séries par delà la simple publication de tomes et c’est très bénéfique pour le bouche à oreille.”

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Les sondés ont par ailleurs été interrogés au sujet de la prescription qui s’applique au monde des séries. Les points de vente physiques ainsi que Babelio apparaissent comme les deux moyens privilégiés par les lecteurs pour choisir leurs lectures. Les médias apparaissent comme la troisième source de découverte de séries. Nous avons ensuite comparé ces résultats à ceux des études que nous avons précédemment effectuées et avons pu constater que la série littéraire se comporte comme le polar au niveau prescriptif, alors que la romance et les littératures de l’imaginaire privilégient les blogs au détriment des médias traditionnels.

Le lecteur de séries littéraires apparaît comme très attaché à la recommandation entre fans : trois quarts des interrogés échangent des avis dans la vie réelle ainsi que sur internet. Nous avons pu constater que les conseils de l’entourage sont éminemment prescripteurs pour les lecteurs de séries puisqu’il s’agit selon eux de la première source d’incitation à l’achat. On note également que le conseil du libraire occupe la troisième place du classement.

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Qu’en est-il de l’attachement aux marques ? Nous avons interrogé les lecteurs au sujet de leur fidélité aux maisons d’édition. Pour faciliter la lecture des résultats, nous avons choisi de faire ressortir les marques fortes, d’où la distinction entre des collections et des éditeurs (Collection R et Robert Laffont). Plus de la moitié des sondés disent suivre avec attention le catalogue d’une maison d’édition après la lecture d’une série qu’ils ont appréciée. Antoinette Rouverand apporte un éclairage sur la question : “Je pense effectivement que les lecteurs portent une attention particulière à une maison suite à une lecture agréable. J’ai participé au lancement de la série Twilight dans la collection Black Moon. Après le succès des romans, j’ai remarqué la hausse des ventes des autres titres de la collection, moyennant une couverture faisant écho à celle de Twilight. La fidélité était réelle. Nous avions l’impression que tout roman parlant de vampires aurait pu se vendre chez nous à l’époque. Les lecteurs accordaient une certaine confiance à la marque Black Moon, il y voyaient un gage de qualité. Évidemment, une fois que tous les éditeurs nous ont rejoint sur le créneau, Black Moon a perdu son privilège dans l’esprit des lecteurs.”

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Églantine Gabarre poursuit : “ Je pense qu’au contraire, l’auteur n’a pas d’importance aussi marquée en bande dessinée. Les auteurs de The Walking Dead par exemple, ne vendent pas aussi bien leurs autres albums alors même que Robert Kirkman est un immense auteur par ailleurs. La maison d’édition n’est pas pour nous non plus un levier particulier de fidélité. Nous travaillons plus nos personnages et nos séries que notre marque, pour la simple raison que nous publions de tout. Les Carnets de Cerise par exemple, au lieu de mettre en avant la marque Delcourt, nous avons privilégié les personnages en organisant un concours de dessin qui permettait au gagnant de se voir apparaître dans le prochain tome de la série. Il n’y a rien de mieux en bande dessinée pour fidéliser le lecteurs que de l’impliquer dans le processus éditorial. J’ai conscience que cela n’est pas applicable à tous les supports.” Florian Lafani complète : “Nous travaillons un peu notre logique de marque chez Michel Lafon, mais nous privilégions l’univers des séries dans notre communication ; cela est sans doute dû à l’absence de collection.”

Pour conclure, il n’existe pas de lecteur de série type et les pratiques de ce lectorat sont très variées. Les lecteurs qui abandonnent une série le font pour des raisons qualitatives et d’indisponibilité. Le temps d’attente entre deux tomes est en effet jugé comme trop long pour la majorité des sondés qui aimeraient ne pas le voir dépasser 6 mois. Les lecteurs découvrent de nouvelles séries principalement grâce au bouche à oreille ainsi que dans les points de vente physiques. Les maisons et collections sont des marques fortes : quand une série plaît aux lecteurs chez un même éditeur, ils aiment découvrir les autres publications de la maison. Enfin, les lecteurs sont critiques envers certains aspects éditoriaux : l’arrêt anticipé d’une série ainsi que la découpe abusive exercée par rapport à la tomaison originale les gêne, comme la différence marquée entre les couvertures française et originales, qu’ils trouvent souvent plus belles.

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Babelio tient une nouvelle fois à remercier ces trois intervenants ainsi que les nombreux internautes d’avoir répondu présents lors du sondage.

L’étude est à retrouver en intégralité sur notre slideshare.

 

Où Babelio présente une étude de lectorat sur la romance

Dans le cadre de son cycle de conférences sur “les pratiques des lecteurs”, Babelio a présenté le 12 janvier dernier une nouvelle étude sur un type de lecteur bien spécifique, l’amateur de romance. Comment choisit-il ses lectures ? Qui sont ses prescripteurs ? Quelle image véhicule ce genre auprès des lecteurs ?

Pour tenter de répondre à ces questions et décrire ces nouveaux amateurs d’histoire d’amour, Babelio a mené une enquête durant la deuxième quinzaine de décembre auprès de 3 023 personnes au sein de sa base de donnée utilisateurs.

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Trois intervenants étaient présents afin de partager leurs réactions face aux résultats de cette enquête : Isabelle Solal, éditrice chez Hugo & Cie, Karine Lanini, directrice éditoriale chez Harlequin et Karine Bailly de Robien, éditrice chez Charleston. Le débat a été animé par Pierre Fremaux, co-fondateur de Babelio, à la suite de la présentation de l’étude faite par Octavia Tapsanji, responsable des relations éditeurs de Babelio.

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De gauche à droite : Karine Bailly de Robien, Isabelle Solal et Karine Lanini

Littérature sentimentale moderne dont l’intrigue repose sur une relation amoureuse au dénouement souvent heureux, la romance est un genre en pleine expansion. Composée de nombreux sous genres, parmi lesquels la romance paranormale, historique, policière ou encore la chick lit, elle est vaste et c’est pourquoi l’étude de son lectorat représente un enjeu de taille à l’heure où certains ouvrages réalisent des scores de ventes plus élevés que jamais.

Historiquement, c’est la maison Harlequin qui fut la première en 1978 à importer dans l’hexagone ce genre littéraire, jusqu’alors purement anglo-saxon. S’il a quelque peu tardé à acquérir ses lettres de noblesse, le genre est actuellement hautement diversifié. La parution et le succès phénoménal de la saga 50 nuances de Grey a jeté une lumière toute nouvelle sur le genre dont l’édition n’a pas tardé à s’emparer. Possédant désormais ses collections propres dans plusieurs maisons et au coeur de nombreuses questions relatives à son positionnement, nous avons choisi de nous intéresser à ce genre dynamique situé au coeur de la scène littéraire actuelle.

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De façon plus marquée encore que dans nos dernières études, le lectorat de la romance est à une écrasante majorité féminin. Bien que le lectorat Babelio soit déjà hautement féminin (80%), il s’agit là d’un fait bien plus accentué pour ce genre. Femme, le lecteur de romance sur Babelio est également jeune puisque 57% des interrogés ont déclaré avoir moins de 35 ans, ce qui différencie ce genre du polar par exemple. Ce lecteur est également un très grand consommateur de livres puisque 95% des interrogés ont  déclaré lire plus d’un livre par mois. Évidemment, cette spécificité propre à la communauté Babelio peut éventuellement avoir entraîné des biais à notre étude qu’il a justement été intéressant de commenter lors de la discussion avec les éditeurs.
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Comme évoqué en introduction, l’étendue des sous-genres recouverts par la dénomination “romance” est telle que la définition de ce genre reste un exercice difficile pour les lecteurs, comme le montrent les résultats ci-dessus. En tant que “romance”, le sondage montre que des genres tels que le Young Adult (représenté par Twilight dans le sondage) et le roman érotique (représenté par Cinquante nuances de Grey) sont pour la plupart des lecteurs considérés comme de la romance. Si cette dernière est difficile à définir avec précision, les lectrices savent en revanche très bien pourquoi elles en lisent. Les raisons de ces lectures sont clairement identifiées par notre panel de répondants : besoin de rêver, recherche d’un happy end, histoire d’amour… Bref, la romance apparaît comme une lecture plaisir, une lecture “doudou” selon les dires  de Karine Bailly de Robien.
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“Le lecteur de romance lit de tout”

Loin d’être exclusive à la romance ni homogène, la population interrogée se détache des autres lectorat par la diversité de ses lectures. En effet, la romance représente moins de 50% de lectures pour 76% des interrogés. Attention, loin de signifier que le grand lecture que représente le lecteur Babelio, ne lit pas de romance, ce chiffre révèle plutôt que ce lecteur est en revanche susceptible de lire de tout.

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C’est à ce sujet qu’Isabelle Solal, éditrice chez Hugo & Cie, prend la première la parole. Selon elle, cette diversité dans les lectures de l’amateur de romance est loin d’être nouvelle. “Les lectrices de romance sont des personnes qui aiment lire. Si auparavant elles tentaient de cacher ce type de lecture, elles l’assument pleinement aujourd’hui, en partie grâce à des succès comme Cinquante nuances de Grey.” La lectrice de romance pourrait donc très facilement passer d’un genre à un autre, car son intérêt se porterait avant tout sur l’univers ou encore le texte. “Dans l’écriture de la romance, c’est l’installation de l’univers le plus important” rappelle Isabelle Solal. D’ailleurs, puisque la romance comprend de nombreux sous-genres, elle pénètre plus facilement d’autres genres littéraires, ce qui expliquerait la propension élevée des lecteurs à ne pas se borner à un seul genre littéraire.

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Si pour elle, comme le montre notre étude, la romance apparaît comme une sorte de pause parmi des lectures plus éclectiques, Karine Lanini, directrice éditoriale chez Harlequin, ne semble pas de cet avis : “La romance appartient à la littérature grand public ; il est par conséquent normal que les lectrices lisent de tout. On ne doit pas pour autant parler de lecture de remplacement.” En revanche elle confirme : “Je ne suis que moyennement surprise par ce chiffre car en effet, la lectrice de romance peut désormais s’assumer et plus encore se regrouper avec d’autres pour partager cette passion, ce qui n’était absolument pas envisageable quelques années auparavant.”

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Malgré leur nombre important, les lecteurs de romance semblent faire la distinction entre les différents sous-genres de la romance. Ce constat apparaît comme une donnée invariable au fil de nos études, ceci pouvant être expliqué par l’extrême appétence de nos utilisateurs pour la lecture. La romance historique, la new romance et la romance paranormale apparaissent comme les sous-genres les plus identifiés par les répondants. Pour Karine Lanini, la segmentation de l’offre est très bien connue des lecteurs qui savent aller chercher ce qui leur convient et justement, la largesse de l’offre permet de pouvoir toucher tout le monde : “Il y a forcément un roman Harlequin pour vous” déclare-t-elle.

Par-delà leur simple identification, quels sont les genres préférés des lecteurs ? Loin de pouvoir répondre directement à cette question, il semblerait que notre panel exprime une préférence pour les romances dites “softs” que pour les romans aux contenus plus érotiques. Déconcertant résultat compte tenu des ventes astronomiques atteintes par la trilogie d’E.L James ces dernières années. Surprises par ce chiffre, les éditrices tentent alors d’y apporter une explication.

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“Cinquante nuances de Grey a lancé un pavé érotique dans la marre de la romance”

Pour Isabelle Solal ce résultat  montre une acceptation généralisée de l’érotisme dans la romance. “Je pense que l’érotisme fait partie intégrante de la romance, qu’il fait au contraire partie de l’attrait de ce type de lecture”. Dès lors, puisqu’elle est admise et intrinsèquement liée au genre, il n’est pas nécessaire que les éditeurs appuient sa présence dans un roman. Karine Lanini rajoute “Il y a toujours eu de la sensualité dans nos romans, et c’est moins discriminant aujourd’hui pour cette même raison. Voilà comment j’interprète ce chiffre.” Une intervention d’Aurélie Charron, éditrice chez Bragelonne et présente dans le public, confirme cette analyse : “Les genres totalement dépourvus d’érotisme se vendent d’ailleurs très mal en France, pensons notamment à la romance historique ou la romance inspirationnelle (religieuse). Même si les lectrices demeurent quelque peu discrètes sur le sujet, les romances érotiques se vendent beaucoup.”

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Concernant l’origine de la romance, seulement ⅓ des interrogés considèrent le genre comme anglo-saxon, face à 46% qui n’y associent aucune nationalité particulière. Ce constant permet d’émettre l’hypothèse que l’attachement à la notion d’auteur demeure moindre pour ce genre littéraire et que l’univers est un élément bien plus décisif dans le choix des lectures. Notons tout de même que 3% des lecteurs  associent le genre à des auteurs francophones et nous verrons d’ailleurs plus loin qu’il s’agit là d’une tendance que ces derniers souhaitent voir se développer.

Une nouvelle fois surprises, les éditrices rappellent à juste titre que la romance est très longtemps restée un genre exclusivement anglo-saxon. A ce sujet, Karine Lanini précise que c’est l’entrée des éditions Harlequin dans l’édition numérique avec la collection HQN qui lui a permis d’ouvrir son catalogue aux auteurs de romance français.

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Au sujet du lieu d’acquisition des ouvrages de romance, la grande surface culturelle apparaît comme le premier lieu d’achat, passant devant la librairie pour la toute première fois depuis le début de nos études de lectorat. Pour le polar et les littératures de l’imaginaire, la librairie demeurait bien en tête dans le classement. Ce chiffre, bien qu’apparaissant spécifique au monde de la romance n’a pas surpris les éditrices, au courant d’une telle tendance et soulignant bien la particularité de ce constat au genre de la romance.
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“C’est la première fois que la grande surface passe en tête”

Concernant la répartition des achats entre poche et grand format, pas de profil type concernant le lecteur de romance qui se procure à 59% ses ouvrages en poche ; chiffre très proche de celui concernant les littératures de l’imaginaire mais un peu plus élevé que pour le polar. Sans doute de façon corrélée à son lieu d’achat, le lecteur de romance est prêt à mettre un prix moyen de 7.7 euros dans un roman poche, alors qu’il en mettait 8.2 en moyenne pour le polar. Ce chiffre est également intéressant dans le sens où il est identique pour le format numérique. En effet, contrairement à toute attente, les lecteurs semblent enclins à dépenser autant pour du papier que pour un format numérique.

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A propos du numérique, 49% des interrogés déclarent avoir déjà lu sur un support numérique, une moyenne se situant entre celle de l’imaginaire et du polar. Toutefois, ce support est minoritaire, malgré la présence d’une population “d’addict” , puisque pour 15% des lecteurs, l’ebook est un support majoritaire à plus 75%.

Karine Bailly de Robien, éditrice chez Charleston dévoile pourtant sa déception au sujet de l’édition numérique : “Nous déplorons chez Charleston l’absence d’explosion du numérique. Nous exploitons cependant la formule du préquelle en téléchargement gratuit sur notre site, ce qui permet d’entraîner le public vers la lecture de l’ouvrage complet à parution.” Ce que l’éditrice ne manque par ailleurs pas de souligner, c’est la théorique propension du genre de la romance à s’adapter à un format numérique “On imagine facilement les lectrices exiger de connaître la suite des aventures de leur héroïne sans attendre et par conséquent beaucoup plus télécharger les ebooks que les lecteurs d’autres genres, pour les avoir à disposition rapidement. La romance demeure à mes yeux assimilable à une lecture pulsion.”

Chez Hugo & Cie, le constat est pourtant autre d’après Isabelle Solal. Dans sa maison, les ventes en numérique représentent près de 18% des ventes globales, ce que l’éditrice considère comme un chiffre important dans le milieu. “Les lectrices de romance se constituent très facilement en communautés sur les réseaux sociaux, elles sont beaucoup plus connectées que d’autres communautés littéraires, voilà pourquoi elles peuvent être tentées plus facilement par la lecture numérique.”

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“Le numérique est définitivement une manière de toucher un nouveau lectorat”

Précurseurs de l’aventure numérique, les éditions Harlequin ont décidé il y a quelques années de faire le pari du numérique, notamment en créant la collection HQN. Karine Lanini confie à ce sujet être actuellement très contente du résultat obtenu par cette gageure face à l’avenir  : “Le numérique représente aujourd’hui plus de 20% de notre chiffre d’affaire. Notre premier ebook est paru en 2008 et aujourd’hui, la totalité de notre catalogue est disponible en version numérique. En mettant à disposition l’intégralité de notre offre en numérique, nous avons pu constater que les ventes papier ne baissaient absolument pas. Le numérique nous a donc apparu comme une manière efficace pour toucher un nouveau lectorat.” Selon l’éditrice, le support n’est pas la principale préoccupation des lecteurs de romance, plutôt attachés selon elle à la disponibilité de la suite de l’histoire, comme Karine Bailly de Robien le soulignait précédemment. D’autres arguments en faveur du numérique sont également abordés lors de la discussion entre les éditrices : le gain de place par rapport au papier pour les grands lecteurs et surtout la disponibilité sur le long terme du catalogue, ce qui n’est absolument pas possible lorsqu’il s’agit du papier. “Le numérique permet d’accéder à une offre absolument gigantesque” souligne un nouvelle fois Karine Lanini.
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Le web est fortement représenté lorsqu’il s’agit pour les lecteurs de désigner les supports de découverte des ouvrages de romance qu’ils se procurent. En comparaison aux autres études menées par le passé sur Babelio, le web ne représentait que 18% des premiers choix pour le polar et 23% pour l’imaginaire. Comme expliqué un peu plus tôt, si l’on considère les lectrices de romance comme une population hyper connectée, il devient facile d’expliquer la part importante du numérique dans les supports de découvertes utilisés. Cette fois, les éditrices nous ont confié être confortées dans leurs impressions concernant cette question de la prescription.

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Les critères d’achat les plus mentionnés lors de notre étude concernent le thème du roman ainsi que le résumé et l’univers du récit. L’auteur, comme mentionné précédemment, n’apparaît que plus loin dans les résultats. Contre toute attente, l’étude montre également que la maison et la collection des ouvrages n’entrent que très peu en compte lors du choix de lecture des interrogés. En effet,19% seulement des interrogés se disent attachés aux maisons d’éditions contre 30% pour l’imaginaire et 32% pour les lecteurs de polar. Ce chiffre, somme toute surprenant, n’a pas manqué d’engendrer un débat animé entre les éditrices.

Confortant notre étude, Karine Bailly de Robien explique que chaque livre possédant sa logique propre, il est normal que la maison d’origine du récit n’importe que peu les lecteurs : “La littérature reste une sorte d’artisanat et chaque livre se lit à un moment donné dans une humeur précise. C’est pour cette raison d’ailleurs que les romans Charleston ne possèdent pas de charte de couverture.”

Présentes dans le quatuor de tête des maisons les plus identifiées, Harlequin (4e position) et Hugo & Cie (3e position), derrière Milady et J’ai Lu ont de leur côté souhaité exprimer leur désarroi face à ce chiffre : Isabelle Solal explique “Je suis étonnée par le résultat car nous sommes assez bien identifiés auprès de nos lecteurs et je pense que les lectrices suivent les nouveautés au sein de notre catalogue, notre marque servant de garantie de qualité.”
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Karine Lanini poursuit : “Je pense que les lectrices ont au contraire un réel attachement envers notre marque. L’identité d’un éditeur est également notre garantie et plus encore, c’est par l’intermédiaire de la “marque” que de nouveaux lecteurs arrivent chez nous, car elle est historique et très bien identifiée dans le genre de la romance.” Elle rajoute “Et si les lecteurs ne sont pas attachés aux maisons, ils le sont au moins aux séries qu’ils entament.” Sur ce sujet, les avis resteront tranchés.
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Un autre chiffre a suscité l’étonnement chez les éditrices : l’attente marquée des interrogés pour un renouvellement du genre. Comme nous l’avons dit précédemment, la baisse de la part de l’érotisme dans les romans est encore une fois soulignée ici, ainsi que l’augmentation de la part de romans francophone dans les parutions. Reconnaître cette envie de renouvellement est une chose mais y remédier en est une autre. C’est sur ce point que les éditrices invitées ont échangé par la suite. Isabelle Solal a exposé sa théorie selon laquelle la romance est en plein renouveau car elle explore depuis peu de nouveaux univers, comme la boxe ou le football. Plus encore, la romance est selon elle de plus en plus ancrée dans nos sociétés modernes, ce qui lui permet de proposer de nouvelles choses à son public.

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“Les thèmes exploités par la romance sont les mêmes depuis l’existence du genre”

De son côté, la représentante des éditions Charleston complète : “Les lectrices évoluent et souhaitent désormais trouver dans les romans des héroïnes pleines d’ambivalence dans leur féminité, incarnant leur réflexion personnelle sur la place des femmes dans la société” ce qui selon elle, n’était pas le cas auparavant. La modernité de la romance résiderait donc dans les destins des héroïnes, moins dociles que par le passé.

“Ces thèmes existent depuis toujours dans la romance” rétorque Karine Lanini, loin de partager l’avis de ses deux partenaires. “Et c’est justement parce que ces romans font réfléchir sur la place de la femme dans la société qui l’entoure que les hommes ne s’y intéressent pas. Si les femmes aiment la romance c’est parce qu’elles peuvent s’y reconnaître.” Pour la directrice éditoriale des éditions Harlequin, si la romance connaît un renouvellement, ce dernier passe davantage par la taille des textes : “Nous sommes passés d’un format relativement court avec des schémas plus ou moins identiques dans la construction du récit mais le succès de Cinquante nuances de Grey nous a montré que des histoires plus longues avec des personnages plus fouillés pouvaient trouver leur place sur le marché. Nous avions du mal à y croire avant de voir le phénomène se réaliser.”

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“C’est par l’ampleur des textes que la romance a acquis ses lettres de noblesse”

Le débat est suivi par une intervention d’ Isabelle Varange, éditrice aux éditions Milady  pour qui la new romance serait avant tout marquée par la multiplication des points de vue, permettant d’apporter une dimension légèrement moins féminine aux récits, loin de déplaire à l’ensemble du lectorat.

Isabelle Solal argue à ce propos que l’ajout de la voix de l’homme dans la trame narrative de la romance est effectivement un élément très contemporain qui marche une scission entre la romance d’antan et la new romance.

Karine Lanini explique : “L’alternance des points de vue n’est pas nouvelle, elle existait bien avant aujourd’hui. Cependant, c’est le renversement des rapports entre les personnages qui change la donne. C’est parce que le point de vue masculin a changé qu’il est désormais possible de le divulguer dans un récit sans casser l’intrigue et permettre le tant coutumier twist final des récits de romance.” En résumé, le rapport de domination entre l’homme et la femme s’étant réduit avec les années, les personnages n’en sont devenus que plus complémentaires les uns avec les autres, permettant la mise en place de romans chorale. Aurélie Charron de rajouter : “ Tout comme le présent de l’indicatif et l’utilisation de la première personne du singulier dans les récits, fournissant au lecteur une position supérieure vis à vis du déroulé de l’histoire.”

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“La solution d’enrichissement adéquate n’a pas encore été identifiée”

La question des innovations technologiques a également posé question aux éditrices présentes lors de la conférence, toutes trois relativement d’accord sur le fait que cette direction n’était pas leur priorité. Isabelle Solal exprime d’ailleurs son étonnement face à ce manque de projets car selon elle, la romance est le genre idéal pour expérimenter des méthodes d’enrichissement : “ Les lectrices se manifestent d’ailleurs beaucoup sur les communautés et s’adressent aux éditeurs beaucoup plus de pour les autres genres littéraires. C’est donc un bon vivier d’expérimentation digital.” Elle rajoute par ailleurs que de leur côté, les auteurs de romance sont également très attachés à leur fan system et pourraient en théorie être prêts à leur laisser davantage la parole dans le processus de création des ouvrages.

Karine Lanini exprime de son côté davantage de réticences face à ce type de procédés : “A mon avis, la solution d’enrichissement adéquate n’a pas encore été trouvée. Nous nous sommes souvent posé la question chez Harlequin mais nous concluons systématiquement que cela n’apporte pas grand chose en termes d’expérience de lecture.” D’ailleurs, il ne faut selon elle pas se focaliser sur la segmentation de la publication des récits en chapitres comme peuvent le faire certains réseaux américains, pour la simple et bonne raison qu’il ne s’agit pas d’une nouveauté : “Ce principe de publication par morceaux existait déjà au XIXe siècle ! Il s’agissait des romans-feuilletons qui paraissaient dans les journaux et ces derniers ont été progressivement remplacés par les romans complets comme nous les connaissons aujourd’hui. Bref, nous n’avons pas encore trouvé la bonne formule.”

C’est sur ce rappel historique que la conférence s’est achevée, laissant alors la place à un buffet offert à tous les participants, où les discussions ont continué de bon train.

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Merci à nos trois invitées

Retrouvez notre étude complète sur les lecteurs de romance.